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Assurance et finance : et si leur trait d’union, c’était la prévention ?
On oublie trop souvent que les assureurs font partie des plus gros investisseurs de l’économie. Très gros même : les assureurs français gèrent près de 3 000 milliards d’euros d’actifs, soit l’équivalent d’un PIB. Un poids qui assoit l’assurance comme une incontournable influenceuse de marché. Car placer de l’argent est un acte agissant. Qui financer ? Pourquoi ? Comment s’assurer que ces fonds participent à une action d’amélioration ? Où l’on comprend enfin que financer, c’est aussi (lorsque l’intention y est) faire de la prévention. Entretien avec Virginie Le Mée, membre du comité exécutif du Groupe Matmut, en charge de la coordination stratégique, finance et risques
Mon assureur mutualiste, ce géant de l’investissement
Gardez ceci en tête : un assureur est un investisseur. C’est même ce qu’on appelle un investisseur institutionnel, aux côtés des banques, caisses de retraite et sociétés d’investissement. Leur point commun, c’est de placer sur le marché les fonds qui leur sont confiés. Avec, on le devine, un objectif de rentabilité. Même les mutualistes ? Même eux. Une raison d’être centrée sur l’avenir et l’humain, ça se finance aussi.
« La dualité présumée entre mutualisme et rentabilité n’a pas de sens, explique Virginie Le Mée, directrice de la coordination stratégique, finance et risques à la Matmut. Nous sommes une entreprise commerciale. Nous avons besoin d’être rentables pour assurer les risques et continuer à exister à long terme pour pouvoir exercer ce métier, justement. Les années positives absorbent les années négatives : c’est tout simplement le principe de mutualisation. En revanche, nous ne sommes pas une entreprise capitalistique. Nous ne rémunérons pas d’actionnaires. L’argent dégagé couvre nos charges de fonctionnement et la couverture des sinistres. Le reste est placé comme réserve utile. Qui nous permet, entre autres, de faire de la prévention. »
La prévention est une culture
La prévention ça s’infuse, ça s’apprend, ça ne se mesure pas à court terme. Ce n’est pas un KPI[1]. Quoi que. Pour Virginie Le Mée, « prévenir est forcément rentable. C’est un état d’esprit qui fait partie d’une culture, à l’échelle d’une entreprise, d’un pays. Nos budgets prévention sont dorénavant centralisés et surtout, sacralisés. » Prévenir dans le sens de sensibiliser et d’informer ses collaborateurs et ses assurés, d’accord. Mais prévenir dans le sens de financer ? « C’est la même logique, qui dit investissement dit responsabilité. On a déjà fait le pari de choisir des placements engagés quitte à perdre des points de rentabilité à court terme. À la fin, on s’y retrouve. Cette approche est assumée car elle fait partie de notre raison d’être. La prévention est clairement de l’ordre de la culture, qui elle-même s’applique au modèle économique. Des pans entiers de l’économie sont appuyés sur le concept de prévention. L’assurance en représente le dernier maillon. »
La culture du placement agissant
Ceux qui manient des fonds possèdent un pouvoir d’influence sur le marché et sur les entreprises elles-mêmes, en orientant le capital vers telle ou telle activité. C’est là que réside le concept de finance agissante. Sans argent, pas de développement. Alors, que développer ? « Notre rôle d’influenceur est là : choisir les entreprises investies pour le compte de nos assurés et avec nos fonds propres. Par nos positions, nous influençons positivement le marché, ce qui revient à faire de la prévention indirecte. Les pousser « à » … reforester, par exemple. Cette approche responsable n’est pas récente : sur les 6 milliards investis par la Matmut, 95 % des actifs sont fléchés et 100 % des OPC[2] sont des fonds article 8 ou 9 (ESG). » Un impact fondamental de la rentabilité sur la capacité à prévenir sur le long terme. « On peut chercher à promouvoir les fleurons de l’économie française, même ceux dont les activités sont historiquement sujettes à caution environnementale, entre autres, en influençant leur évolution vers plus de responsabilité. Financer la recherche, c’est bien, mais également la façon de mener ces recherches. » Un sujet sur lequel l’assurance travaille de pair avec le secteur public via des organes de concertation et des dispositifs de financement dédiés au tissu économique français, à l’instar des initiatives Tibi. (3)
« Une politique de prévention efficiente suppose la connaissance par les assurés des risques et des mécanismes de prévention eux-mêmes, conclut Virginie Le Mée. Ces mécanismes existent pour contourner les risques (réassurance) ou pour les assumer (c’est l’assurance et les réserves constituées par les primes et les placements). C’est là que la finance joue un grand rôle. »
[1] Indicateur de performance
[2] Organismes de placement collectif
(3) Plan pour financer le développement des entreprises technologiques