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10 / 01 / 2024 | 98 vues
Dominique Dorgueil / Membre
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ATMP: Cotisations parfois inégalitaires, prévention en perte de vitesse

Les Accidents du Travail (ou de Trajet) et les Maladies Professionnelles sont couverts par les cotisations AT/MP versées par les employeurs. Ces cotisations sont versées mensuellement et correspondent à un taux fixé annuellement par la CARSAT*. Explications.

 

 

Sauf cas identifiés, les cotisations sont fixées entreprise par entreprise (voire établissement par établissement) par les services de la CARSAT et collectées par l’URSSAF* via la DSN*. Ces cotisations servent, dans leur quasi-totalité à indemniser les victimes d’accidents du travail, de trajet, ou de maladies professionnelles. Le reliquat des cotisations est affecté aux actions de prévention menées principalement par la CARSAT et l’INRS*.
 

Les indemnisations
 

Lorsqu’un(e) salarié(e) est victime d’un accident du travail, d’un accident de trajet, ou d’une maladie professionnelle, c’est l’assurance maladie qui le/la prend en charge. Cette prise en charge peut intervenir de différentes façons :

 

  • prise en charge de l’intégralité de leurs frais de santé ;
  • indemnités journalières ;
  • rente, si incapacité permanente 
  • rente pour les ayants droit en cas de décès du salarié.

 

Pour les salarié(e)s exposé(e)s à certains niveaux de risque existe le Compte professionnel de prévention. Ce dispositif mal nommé (puisqu’il permet principalement d’intervenir a posteriori) permet de cumuler des points pour financer des formations professionnelles, financer un projet de reconversion professionnelle, bénéficier d’un temps partiel, ou anticiper le départ à la retraite.
 

Et la prévention ?
 

On le voit, l’indemnisation d’évènements et de sinistres liés à l’exercice de son activité professionnelle, ou en découlant, repose sur les cotisations collectées par l’URSSAF. C’est la CARSAT qui en fixe le taux afin, et c’était l’esprit du dispositif initial, d’inciter davantage à la prévention.


A un niveau de sinistralité élevé correspondrait un taux élevé mais la Loi PACTE a cependant considérablement affaibli cette réciprocité.

 

  • « Depuis le mois de janvier 2019, une entreprise doit avoir durablement franchi un seuil d’effectif à la hausse pour être assujettie à une obligation. Une entreprise ne change donc de mode de tarification que si ce franchissement persiste pendant 5 années consécutives. A l’inverse, si un des seuils est franchi à la baisse une seule fois, le mode de tarification change dès ce moment-là ».



Le ton semble clairement donné ! Coller à la réalité, pourquoi pas, mais comment justifier cette asymétrie 

 

En ce qui concerne la prévention, une étude publiée par l’INRS le corrobore : « La sinistralité et la performance économique de l’entreprise sont négativement et significativement liées. Une augmentation de 10 % de la fréquence d’accidents du travail (AT) diminue la productivité de l’entreprise de 0,12 % et son profit de 0,11 % au cours de la même année. Et cet effet est encore très présent l’année suivante. »

 

Reste que, dans les faits, les inégalités de droit entre les salariés perdurent, continuant de refléter la taille de leur entreprise, l’effet décrit plus avant étant lui-même fortement dépendant du facteur taille.
 

L’INRS, toujours : « Pour les entreprises de moins de 20 salariés, cette augmentation de 10 % de la fréquence des AT conduit à une diminution de 0,38 % de la productivité et 0,24 % du profit. Quelle que soit la taille de l’entreprise, un AT vient perturber la production et par là réduire la productivité. Cet effet est d’autant plus important pour les petites entreprises qui sont plus contraintes en personnel et matériel pour faire rapidement face à la désorganisation provoquée par l’AT ».

 

Voilà désormais scientifiquement validée l’existence et l’importance du lien entre sinistralité et performance économique !

 

Au-delà de l’obligation réglementaire de l’employeur de préserver la santé et la sécurité des travailleurs (Art. L.  4121-1* du Code du travail), cette étude apporte donc un argument de poids en faveur de la mise en place de mesures de prévention des risques professionnels en entreprise.

 

Mais qu’en est-il dans la « vraie vie » ?

 

Des déclarations … et c’est tout ou presque

 

La Cour de comptes, dans un rapport publié en juin  2023 et faisant suite à ses préconisations remises en 2018, constate «  … une absence d’amélioration substantielle alors que la sinistralité reste préoccupante. ». La fréquence annuelle des accidents mortels et non mortels se situe encore très au-dessus des moyennes européennes.

 

Par ailleurs, certains secteurs d’activité bénéficient toujours de dérogations aux règles générales, créant ce que les magistrats qualifient d’effet d’aubaine.
 

Autre biais générateur de conduites opportunistes, les taux de cotisation collectifs tels qu’on peut les constater dans les EHPAD* privés, alors même que ces établissements sont identifiés pour connaître une sinistralité élevée. Sur ce point également, la Cour des comptes est claire : « Il revient à l’Etat de tirer les conséquences de l’inertie des acteurs et de faire évoluer les règles de tarification des AT/MP ».

 

Quand on voit ce que permettent désormais certaines dispositions de la loi PACTE, on rit jaune !
 

Celles ou ceux qui douteraient encore des intentions réelles qui sous-tendent ces décisions peuvent utilement consacrer un peu de leur temps à prendre connaissance du rapport Lecocq de 2018, au nom (forcément) évocateur : « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée ». Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur ce fameux rapport et sur ses conséquences potentiellement délétères.

 

Ces considérations pertinentes mises à part, il est évident que la prise de conscience de l’intérêt de la prévention en entreprise subit peu ou prou le même traitement que celui concernant l’égalité femmes/hommes : des déclarations d’intention mais peu de prises de conscience

 

Sans faire preuve de misérabilisme, on peut encore considérer qu’une partie du monde du travail reste pour l’heure celle de la souffrance et de la contrainte, celle de la « sueur » (qu’elle soit réelle ou symbolique)


Glossaire: 

•CARSAT : Caisse d’assurance retraite et de santé au travail.

•PACTE : Littéralement Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises.

•URSSAF : Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales.

•DSN : Déclaration Sociale Nominative par voie numérique de plusieurs données sociales. Plus généralement, fichier numérique mensuel permettant aux employeurs de déclarer et de payer les cotisations sociales.

•INRS : Créé en 1947, l’INRS est une association loi 1901. Il est géré par un Conseil d’administration paritaire constitué de représentants des organisations des employeurs et des salariés. Organisme généraliste en santé et sécurité au travail, l’INRS intervient en lien avec les autres acteurs institutionnels de la prévention des risques professionnels. Il propose des outils et des services aux entreprises et aux 18 millions de salariés relevant du régime général de la Sécurité sociale.

•Article L. 4121-1 : L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1. Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ; 2. Des actions d’information et de formation ;

3. La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

4. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

•EHPAD : Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

•Rapport Lecocq : Le rapport dit « Rapport Lecocq » intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », a été remis au Premier ministre le 28 août 2018. Ce rapport a donné lieu à 16 recommandations dans le cadre d’une refonte majeure du système français de santé au travail.

 

 

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