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17 / 11 / 2017 | 5 vues
Olivier Grenot / Membre
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Réseaux de franchise : l’instance de dialogue social, un progrès en trompe-l’œil ?

Depuis plusieurs années, la franchise et la location-gérance connaissent un développement significatif dans deux secteurs clefs de la FGTA-FO : la grande distribution et l’hôtellerie-restauration.

Si ce type d’organisation est celui qu’a choisi le groupe E. Leclerc depuis l’origine, les autres groupes de la grande distribution avaient généralement opté pour un modèle « intégré » et restaient propriétaires des murs et des fonds de commerce de leurs magasins. Cette situation est en train de changer.

Comme l’explique ci-après Jean-Marc Robin (DSC FO Carrefour Market), cette enseigne a entrepris un basculement progressif de l’intégré à la franchise et/ou la location-gérance. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné, on voit actuellement le groupe AccorHôtels céder la majorité de ses établissements à des réseaux de franchisés, notamment, dans une période récente, 85 fonds de commerce ainsi que les murs de 28 hôtels qu’il détenait pour une valeur de 146 millions d’euros à Eurazeo Patrimoine.

Changement de statut et perte de pouvoir d’achat

Cette tendance lourde n’est pas sans conséquence sur le plan social : lors du transfert de la société mère à la nouvelle entité, qu’elle soit franchise ou établissement en location-gérance, les salariés perdent un certain nombre de leurs droits et avantages sociaux, ce qui se traduit le plus souvent par une réduction notable de leur pouvoir d’achat.

Dans la plupart des cas, les employés passent d’un groupe de plusieurs dizaines de milliers de salariés à une petite ou moyenne entreprise qui ne dispose ni ne propose les mêmes avantages, notamment en matière de prévoyance, de participation ou d’intéressement. Changeant de statut professionnel, certains doivent se contenter des minima prévus dans la convention collective de la branche, sans possibilité pour leurs représentants de porter leurs revendications, ces franchisés ne disposant pour la plupart ni de CE ni de délégués syndicaux.

  • Résultat : 350 000 salariés spoliés et privés de représentation.

C’est pour donner aux représentants du personnel des établissements franchisés les moyens de négocier des accords plus favorables que la loi sur le travail a prévu la mise en place d’une instance de négociation dans les réseaux de franchise de plus de 300 employés. Cette disposition a été entérinée par le décret du 4 mai 2017. Louable intention à première vue, car cette instance n’était pas obligatoire jusqu’à présent et le principe d’une telle mise en place répond indéniablement à une attente des organisations syndicales.

Pourtant, cette nouvelle disposition législative apparaît aussi comme une « véritable usine à gaz » et comporte un certain nombre de lacunes, notamment sur la résolution de conflits ou de désaccords entre les parties concernées.

Instance de dialogue : ce que dit la loi

La mise en place de l’instance de dialogue s’impose à la demande d’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau.

Après avoir vérifié auprès des entreprises du réseau que le syndicat remplit les conditions requises, le franchiseur est tenu de convoquer un groupe de négociation, composé d’un collège d’employeurs (franchiseurs et chefs d’entreprise) et d’un collège de salariés. Au terme de la négociation, le groupe doit signer un accord portant sur la composition de l’instance, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées, les dépenses de fonctionnement et la prise en charge des frais de séjour et de déplacement.

Cet accord doit être signé par le franchiseur et un ou plusieurs syndicats de salariés représentatifs au niveau de la branche, ayant recueilli au moins 30 % des voix aux dernières élections des représentants du personnel et les employeurs dont les entreprises représentent au moins 30 % du réseau et en emploient au moins 30 % des salariés. Il est ensuite déposé à la DIRECCTE.

En cas d’échec de la négociation, ou si l’accord est incomplet, l’instance de dialogue doit quand même être mise en place : la loi précise sa composition en fonction du nombre de salariés dans le réseau, le mode de désignation de ses membres et la durée de leur mandat (4 ans).

Les sources de conflit…

Dès la parution du décret, c'était le branle-bas de combat chez les franchiseurs qui voient dans ce texte de loi une remise en cause du principe d’indépendance juridique entre le franchiseur et les franchisés. Ils contestent en outre les termes utilisés par le législateur en proclamant qu’il n’existe, en droit français, aucune définition du « contrat de franchise » et du « réseau d’exploitants ». Les juristes épluchent les textes, les avocats s’activent, les requêtes vont pleuvoir.

Mais les franchiseurs ne sont les seuls à se mobiliser : le texte de la loi a aussi plongé les organisations syndicales dans un abîme de réflexion, notamment concernant les « dispositions supplétives » qui déterminent, en cas de défaut d’accord, le nombre des membres de chaque collège fixé en fonction du nombre de salariés dans le réseau et établit que le tribunal compétent pour les litiges relatifs à la mise en place et au fonctionnement de l’instance de dialogue social est « le tribunal d’instance qui statue en premier et dernier ressort dans les 30 jours de la saisine ».

Par ailleurs, rien n’est dit des modalités de constitution du groupe de négociation, sur celles de désignation des représentants des entreprises du réseau, s’il faudra voter ou non et, dans l’affirmative, à quelle majorité…

Jusqu’au rapporteur du projet de loi sur le travail au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui soulignait lui-même qu’il « soulève plusieurs questions, notamment juridiques » !

L’une d’elles tient au choix de l’instance : pourquoi ne pas avoir plutôt opté pour la reconnaissance d’une unité économique et sociale (UES) ? C’est effectivement ce que demande la FGTA-FO, notamment pour la branche de la restauration rapide.

Nabil Azzouz, permanent fédéral chargé du secteur hôtellerie-restauration : « Nous demandons la reconnaissance des UES ».

Nabil Azzouz, permanent fédéral chargé du secteur hôtellerie-restauration, témoigne de la position fédérale sur l’instauration de l’instance de dialogue dans les réseaux de franchise, met en lumière les contradictions du texte et annonce la proposition de la FGTA-FO sur la mise en place alternative des unités économiques et sociales.

« Pour moi, c’est une bonne chose que de commencer à travailler avec les franchisés parce que pour le moment, la porte est fermée pour les organisations syndicales, du fait que la condition de seuil des 50 salariés n’est jamais atteinte et cela est fait sciemment, pour ne pas intégrer les représentants syndicaux au sein de ces sociétés. À travers cette instance, ils vont peut-être trouver intérêt à travailler avec les organisations syndicales et à réfléchir sur le salarié et la profession. On peut leur apporter des choses, à travers notre expertise dans les OPCA, dans la formation, au niveau des négociations et des accords… Notre expertise, on peut la mettre à la disposition des franchisés et des salariés.

Notre position fédérale, c’est que nous n’avons pas souhaité la mise en place de cette instance, même si nous ne sommes pas contre ! En revanche, nos vraies revendications, c’est une reconnaissance légale de l’UES. À partir du moment où un franchisé exploite trois établissements sous la même enseigne, il faut que ce soit reconnu comme étant une UES.

Cela permettra de désigner des gens,  de mettre en place des instances de représentation du personnel pour qu’elles puissent négocier directement avec le franchisé (3 établissements, ça peut être 150 salariés, 70 ou 350). Parce que notre problématique, c’est que, sous le même réseau, un franchisé peut avoir jusqu’à une dizaine, voire une quinzaine d’établissements sans que les IRP ne soient mises en place. Car chaque établissement est indépendant.

Nous avons portée cette revendication au niveau de la branche. Comme la loi nous permet maintenant de faire cette reconnaissance par voie conventionnelle, c’est-à-dire par voie de négociation, nous avons pris l’initiative de demander à la branche d’y réfléchir, avant même la parution du décret.

Nous n’avons pas la main sur cette instance…Maintenant, comme la chose est imposée, nous devons bien y participer ; nous avons mis en place un cercle de réflexion à la fédération, sur le suivi de mise en place de ces instances. Nous demanderons à notre avocat Maître Riera de nous accompagner, afin que nous puissions étudier toutes les possibilités. C’est vrai que nous sommes face à une usine à gaz.

Ce qui est clair, c’est que nous n’avons pas trop la main sur cette instance. Parce que s’il y a une section syndicale constituée dans un établissement du réseau, elle peut demander la mise en place de cette instance mais le franchiseur ne va pas négocier avec cette section ; il va convier les fédérations représentatives au niveau de la branche, pour donner du poids à cette négociation.

On le sait, les thèmes sont illimités : formation professionnelle, conditions de travail etc. mais nous souhaitons intégrer et porter d’autres sujets qui concernent le social : par exemple la mise en place d’un CE ou d’un fonds d’action sociale… Nous voulons nous impliquer dans la formation et dans la constitution du parcours professionnel des salariés…

Donc pour nous, ce n’est pas vraiment ficelé, ça reste flou. Mais à la fédération,  nous ferons néanmoins ce qu’il faut, quand un réseau de franchisés franchira la barre des 300 salariés, pour mettre en place cette instance de négociation. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qui va ressortir des ordonnances mais ce qui nous intéresse le plus est la reconnaissance de l’UES. C’est du concret, ce que demande Force Ouvrière. Bien sûr, nous sommes bien conscients que ça va être compliqué ».

Interview de Jean-Marc Robin (DSC à Carrefour Marcket)

Combien de magasins Market sont déjà passés en franchise ?
Carrefour Market compte actuellement 1 000 magasins. Il y a quelques années, nous avions 60 % intégrés et 40 % franchisés. Mais la tendance s’inverse. Aujourd’hui, nous avons dépassé la bascule du 50/50 en faveur des franchisés. Aujourd’hui, nous devons être à 430 intégrés pour 560 franchisés. Il y a une vraie tendance à passer des magasins intégrés en franchise au rythme de 15 à 20 par an. Sauf qu'ils ne sont pour la plupart pas réellement en franchise. Ce sont des locations-gérances ayant un statut totalement différent de la franchise. Le repreneur crée une société, l’entité juridique devient le magasin et Carrefour détient des parts quasiment à hauteur de 50 % dans chacune d’entre elles. Le repreneur est donc locataire gérant ; il est salarié de sa propre entreprise.

Ce qui se passe est que les salariés perdent tous les avantages du groupe Carrefour et de l’entreprise Market intégrée. Pour eux, cela équivaut à une perte de pouvoir d’achat de 20 % environ. Ils perdent la participation et l’intéressement. Ils perdent aussi tous les avantages acquis par la négociation en matière de frais de santé et de prévoyance. Ils reviennent au minimum prévu par la convention collective. Le contrat passé avec le nouvel assureur, les garanties et la hauteur des cotisations reste une décision unilatérale de l’employeur. En revanche, comme ils restent sous le statut de la convention collective nationale, au niveau de la branche, ils conservent les droits collectifs comme le 13ème mois et les droits individuels acquis : tickets restaurant et primes de vacances.

Mais Carrefour Market devrait être concerné par la nouvelle législation sur les instances de négociations, dans la mesure où le réseau en lui-même comporte bien plus de 300 salariés.

Le problème est que, chez nous, ce n’est pas vraiment un réseau. Ce n’est pas une entité juridique : à chaque fois, c’est une entreprise à part. On ne peut pas considérer que l’ensemble de ces magasins en location-gérance constitue véritablement un réseau. Si c’est effectivement le cas, je reprends la position fédérale : nous ne sommes pas fermés à la négociation mais je pense que l’instance elle-même est une usine à gaz. Dès que ça va être mis en place, il va y avoir des contentieux au tribunal…

Carrefour n’a rien à dire sur ces décisions ?
C’est justement une revendication que nous portons chez Market. Nous souhaitons négocier un pacte social avec les repreneurs et avec leur intégration dans le système de mutuelle de prévoyance du groupe. Quand on prend une mutuelle à 50 salariés et une à 110 000 salariés, à cotisation égale, on n’a pas du tout les mêmes garanties ! Le problème, c’est qu’on ne peut pas imposer un rapport de force à une entreprise dans laquelle on n’a aucune prérogative syndicale. La seule pression pouvant être exercée, c’est sur le groupe Carrefour !

Est-il prêt à faire quelque chose ?

Je ne sais pas mais, en tout cas, ils sont à l’écoute. La revendication est passée plusieurs fois, au niveau du patron des supermarchés France et de Noël Prioux (patron France de Carrefour). Elle n’a pas été rejetée. C’est très encourageant. Mais le groupe n’a aucune obligation légale d’imposer le régime de frais de santé et de prévoyance aux entreprises avec lesquelles elle travaille. Il est intéressant d’analyser le discours de l’entreprise, pourquoi ce modèle prend le dessus… Effectivement, c’est plus rentable pour eux. En revanche, ce qu’ils ne disent pas, c’est que la première variable d’ajustement reste les coûts de personnel et que ceux qui ne profitent pas du système, ce sont les salariés.

Franchise, location-gérance : quelles différences ?
La franchise est un accord commercial qui s’appuie sur un contrat entre deux entités juridiquement indépendantes, dans le but de développer un réseau.
Le « franchiseur » est une entreprise qui a développé un concept original, rentable et duplicable, le « franchisé » est une personne ou une société indépendante qui exploite un ou plusieurs établissements sous la marque du franchiseur, en utilisant son concept et ses méthodes, et en commercialisant ses produits ou ses services.
La location-gérance permet au propriétaire d’un fonds de commerce d’allouer, pendant une durée déterminée, à une personne (le locataire gérant) le droit d’exploiter librement ce fonds contre paiement d’une redevance. Le propriétaire du fonds en conserve la propriété et en maintient l’exploitation et s’assure un revenu grâce à la redevance. Le locataire gérant travaille à son compte sans avoir à acheter le droit au bail, les matériels, les licences ou la clientèle… Il peut également apprécier la viabilité de l’établissement avant de le reprendre, le cas échéant. Il doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés et s’engager à ne pas changer l’activité du fonds.
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