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15 / 01 / 2016
Jean Phillipe Teboul / Membre
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Inscrit(e) le 14 / 01 / 2016

Ce que doivent comprendre les cadres candidats à des postes de direction dans l'ESS

En France, le secteur de l’économie sociale et solidaire représente 14 % de l’emploi salarié et 10 % du PIB, ce qui ne l’empêche pas de connaître un réel problème de recrutement des cadres.

Le problème n’est certainement pas dans le nombre de candidats. Quand vous recrutez pour «Le Bien», vous recevez logiquement plus de candidatures que les autres.

Le problème est que bon nombre de candidats passent à côté des vraies spécificités des fonctions en question pour au moins trois raisons. Avec Orientation Durable, découvrez quelques solutions qui pourraient néanmoins permettre aux candidats de mieux appréhender ce secteur particulier.

Comprendre la relation entre le conseil d'administration et les salariés

Au sein des associations, employeurs majeurs de l’ESS, deux grands « groupes » se distinguent :

  • le conseil d’administration qui bénéficie du pouvoir mais, du fait que ses membres occupent généralement le poste en tant que bénévoles, n’ont souvent pas le temps nécessaire à l’exercice de leur fonction ;
  • les salariés qui ont les compétences étant donné leur implication quotidienne dans l’association mais n’ont pas le pouvoir.

Avec deux groupes au pouvoir et au temps strictement opposé, ce serait l’absence de problème qui serait une surprise. Mais ce n’est qu’un maigre souci comparé à ce qui suit…

  • Multiplicité de motivations chez les administrateurs
C’est de cette variété que naissent les décisions du CA.

La variété des motivations des membres du conseil d’administration est impressionnante :

  • volonté de changer le monde,
  • volonté beaucoup moins objectivable de répondre à sa propre angoisse de la mondialisation,
  • volonté de statut social,
  • volonté d’avoir un endroit où l’on vous laisse parler.

Assez souvent, un humain reste un humain, un peu de tout ça chez chacun.

C’est de cette variété que naissent les décisions du conseil d'administration (à l’exception notable d’un conseil qui serait fait de robots sans ego, sans angoisses et centrés uniquement sur une seule et commune vision pragmatique des problèmes).

Le cadre dirigeant doit intégrer cette variété et, plus généralement, intégrer la gestion des relations entre ces deux groupes au cœur de sa mission. Très souvent, il nous arrive de « mettre un candidat de côté » car aucun indice sur cette capacité à prendre en compte cette réalité n’apparaît dans sa candidature.

Deuxième secret : accompagner les attentes sociétales des équipes

Lorsqu’un salarié rejoint le secteur de l’ESS, il apporte avec lui ses attentes en termes de projet sociétal.

Très concrètement, si un manager annonce que l’association a signé un accord avec Coca-Cola, certains (outrés par ce partenariat avec ce qu’ils considèrent comme le mal incarné) s’insurgeront volontiers plusieurs heures de suite dans l’open-space.

Mais si le manager annonce que l’association a refusé le partenariat en question pour des raisons éthiques, d’autres viendront communiquer leur déception à voix haute. Leur vision étant proche du capitalisme compassionnel dans le sens américain du terme, ils considéreront que refuser l’argent de Coca-Cola pour faire de belles choses représente un non-sens économique.

Une seule solution pour le manager : prendre le temps avant l’annonce de la décision de dialoguer avec la partie des salariés qui risquent d’y voir un décalage avec leur vision du monde tel qu’il devrait être.

Évidemment, tout ceci n’exclut en rien les attentes classiques de tout salarié (salaire, progression, sécurité économique etc.).

  • Membre ? Salarié ? Qui suis-je ?

Une autre confusion de même origine se situe dans la confusion entre « salarié » (personne payée pour réaliser un travail) et « membre » (partie prenante d’un projet politique).

Cette confusion crée un double dysfonctionnement.

1 – De la part des salariés, une volonté d’intervenir en tant que membres sur les décisions.

Concrètement, le manager demandant l’envoi urgent d’un communiqué de presse à un membre de son équipe peut se retrouver devant une personne réclamant un petit débat (légitime) sur l’application d’une décision déjà votée et validée par les instances.

Le fait que bien des salariés sont d’anciens membres ne simplifie particulièrement pas les choses.

Pas de solution idéale sur le sujet pour le manager :

  • une extrême réside dans la doctrine énoncée par Jacques Chirac : « je décide, il exécute », cette dernière pouvant engendrer une légère baisse de motivation ;
  • l’autre étant dans l’ultra-démocratie participative qui revient aux fameuses dix-huit réunions avant toute décision ferme et définitive sur la couleur de la nouvelle moquette.

La solution ? Au cas par cas et entre les deux extrêmes.

2 – De la part des dirigeants, une volonté de jouer sur la confusion

« Tu viens bosser du lundi au vendredi en tant que salarié et le soir et le week-end en tant que membre passionné par la cause. Où est le problème ? ».
Bien des associations connaissent ce dysfonctionnement : « tu viens bosser du lundi en vendredi en tant que salarié et le soir et le week-end en tant que membre passionné par la cause. Où est le problème ? » (1).
Le problème est résumé dans un bel ouvrage intitulé le Code du travail.

Pour information, un courriel demandant à un salarié de venir en tant que membre tenir un stand sans mentionner la récupération du temps passé est ce que les avocats spécialisés en droit du travail appellent « un foutu cadeau tombé du ciel ».

Là aussi, il devient compréhensible que l’absence d’indices dans les candidatures sur cette compétence (que ce soit par le parcours ou le discours) élimine un (très) grand nombre de candidats.

Arbitrer en permanence entre économique et sociétal

Les recruteurs de l’ESS fuient les deux extrêmes comme la peste.

  • Le manager uniquement centré sur les résultats économiques


Il ne saisit pas l’intérêt de tous ces « trucs militants », tels que la lutte pour le respect des Droits de l’Homme, le respect de l’environnement ou encore d’insignifiants combats pour les droits des femmes…

Sincèrement convaincu par le projet, il préfère raisonner en termes de résultats économiques.

On peut le comprendre. Il a passé sa carrière dans un secteur privé atteint par le proverbe américain « ce qui n’est pas quantifiable n’existe pas ».

Cela peut tout de même occasionner quelques mésententes au sein de la structure ; on vous laisse deviner pourquoi.

  • Le manager uniquement centré sur l’humain


Sa motivation pour travailler dans le secteur ne provient pas d’une volonté de changement mais plutôt d’un désir de ne pas se salir les mains.

Ce qu’il rejette n’est pas l’entreprise (auquel cas il essaierait de la faire changer) mais la notion d’indicateurs de résultats.

Pour lui, licencier une partie des salariés, c'est mal. C’est pourquoi il est préférable d’attendre que la structure coule et que tout le monde soit licencié pour pouvoir accuser « le système ».

À force de repousser toute réalité économique, la structure aura une vision tronquée de sa réalité et de son état et refusera de réagir à la chute qui l’attend.

Le cadre dirigeant « idéal » saura trouver l'équlibre entre ces deux extrêmes, faire la part des choses et, surtout, avoir les deux aspects du métier (économique et humain) en tête à chaque fois qu’il devra prendre une décision.

(1) D’après le baromètre sur la qualité de vie au travail dans l’ESS, 31 % des salariés et 46 % des dirigeants estiment que le travail empiète sur leur vie privée.

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