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20 / 08 / 2015 | 13 vues
CHRISTIAN EXPERT / Abonné
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Le médecin du travail : un nouvel Atlas

Le médecin du travail n’est plus seulement médecin du travail, chargé de la prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs du fait de leur travail mais, depuis la parution de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi (Journal Officiel du 18 aout 2015) il a désormais la charge de la prévention de la sécurité des 60 millions de Français, des 743 millions d’Européens et des 7,3 milliards de terriens. Une lourde charge en vérité ! Heureusement que les salariés pourraient voir leur visite d’embauche assurée par l’infirmière et ne rencontrer le médecin du travail que tous les 5 ans (si les projets du gouvernement aboutissent : rédaction d’une nouvelle loi santé au travail supprimant en particulier l’aptitude). Cela lui laissera un peu de temps pour se consacrer à la prévention de la sécurité des terriens !

Les nouveaux articles issus de l’article n°26 de ladite loi posent de graves problèmes d’articulation juridique du fait de l’introduction de la notion de prévention de la sécurité des tiers.


Article L4622-2 du code du travail (nouveau selon l’article 26)

Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :

1° conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;

2° conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d'éviter ou de diminuer les risques professionnels, d'améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir le harcèlement sexuel ou moral, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l'emploi des travailleurs ;

3° assurent la surveillance de l'état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur « santé au travail et leur sécurité et celle des tiers » , de la pénibilité au travail et de leur âge ;

4° participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

Commentaires

L’article L4622-2 du Code du travail  indique tout d’abord l’objectif des missions du service de santé au travail puis énumère les moyens pour y parvenir.

L’objectif : « Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».

Nous voyons donc qu’après intégration de l’article 26, la mission des services de santé vise exclusivement à éviter toute altération de la santé des seuls travailleurs.

Exclusive (définition du Larrousse : qui exclut une autre chose comme incompatible : droit exclusif de tout autre droit).

Les moyens

Le dernier alinéa « assurent la surveillance de l'état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur « santé au travail et leur sécurité et celle des tiers », de la pénibilité au travail et de leur âge » indique que la surveillance médicale des travailleurs est un moyen pour prévenir l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail.

Il indique littéralement que l’on doit intégrer dans la surveillance de la santé des travailleurs la sécurité des tiers qui pourrait être compromise par ce même état de santé

Cette introduction est incompatible avec l’objectif et le caractère exclusif de la mission des services de santé au travail qui ne connaît que la préservation de la santé des travailleurs.

Article L4622-3 (nouveau selon l’article 26)
Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d'hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé « ainsi que toute atteinte à la sécurité des tiers ».

Commentaires

Le médecin du travail responsable de la surveillance médicale reprend à son compte les objectifs de la mission des services de santé au travail : son rôle « consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».

Ses moyens

  • Surveiller les conditions d’hygiène au travail
  • Surveiller les risques de contagion
  • Surveiller leur état de santé

De la prévention de toute atteinte à la sécurité des tiers

En surveillant toute atteinte à la sécurité des tiers, on ne comprend littéralement que (deux options) :

  • surveiller toute atteinte à la sécurité du tiers participe à l’action d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail : c’est proprement incompréhensible ;
  • en dehors du rôle de prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs, le médecin du travail aurait comme mission  de s’attacher à prévenir toute atteinte à la sécurité des tiers.

Cette mission aussi est en contradiction avec l’objectif décrit par l’article  L4622-2 du CT pour les services de santé au travail. La mission du médecin du travail ne pouvant pas se détacher de celle des services, cette nouvelle « prestation » ne pourrait être possible que si elle était effectuée par des médecins de contrôle comme l’évoque le rapport de la mission « Aptitude » mais rien dans les deux articles L4622-2 et 3 n’évoque cette possibilité. Il nous semble d’ailleurs qu’il faudrait un autre véhicule différent de ces derniers, la mission des services étant exclusivement la santé des travailleurs.

Si la prévention de la sécurité des tiers ne peut pas être un moyen pour prévenir une quelconque altération de la santé des travailleurs, la prévention de la sécurité des tiers est un nouvel objectif.

  • Son champ est infini aussi grand que toute activité humaine. Le médecin du travail devrait donc prendre en charge :
    • l’ensemble du champ médico-social avec surveillance de tous les médecins libéraux, toutes les aides-soignantes, infirmières, kinés, ambulanciers,  brancardiers etc. et supervision des clins ;
    • l’ensemble des  professions du BTP (artisans compris ;
    • l’ensemble des professions de  la métallurgie, de la chimie, de la filière alimentaire, des transports, de la filière nucléaire avec supervision de tous les secteurs qualités : toute pièce ou organe équipant des véhicules, des machines, des outils etc. étant susceptible de porter atteinte à la sécurité des tiers, que dire d’une chaudière de centrale nucléaire ; les secteurs de la pharmacie ne seront pas épargnés, ni les agents de propreté (sols glissants, infections nosocomiales…).


Article. L. 4624-4 (nouveau selon l’article 26)

Les salariés affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers et les salariés dont la situation personnelle le justifie bénéficient d’une surveillance médicale spécifique. Les modalités d’identification de ces salariés et les modalités de la surveillance médicale spécifique sont déterminées par décret en Conseil d’État. ».

Cet article éclaire un peu le champ car, contrairement aux deux articles précédents, il cible les salariés susceptibles de porter atteinte à la sécurité des tiers.

On définira ensuite parmi les masses humaines susceptibles de porter atteinte à la sécurité des tiers, ceux qui sont probablement les plus à risques, ce qui soulage un peu….

Malheureusement, cet article est lui aussi en contradiction avec la mission exclusive des services de santé au travail, la prévention de la santé et de la sécurité des seuls travailleurs.

Ainsi, l'introduction possible d’un corps de médecine de contrôle comme le décide le Conseil d’État le 7 juin 2006 pour la SNCF est possible.

Ces médecins de contrôle ne devraient pas pouvoir être chargés de la surveillance médicale spécifique puisqu’il s’agit de contrôle. Ils n’auront pas accès aux données de santé des médecins du travail de prévention. Les recommandations HAS devraient concerner les méthodes de dépistage des salariés à risques pour les tiers : affections psychiatriques, neurologiques, musculaires (manque de force pour serrer des vis ou des écrous), troubles de la vue, de l’équilibre, de la vision des couleurs... Mais est-ce la fonction de la HAS ? Peut-être puisqu’elle a des missions de santé publique, qui ne peut avoir comme support l’article L.4622-2 du code du travail qui exclut la prévention de la sécurité des tiers.

La notion de « tiers » introduit par la loi de modernisation du dialogue social du 18 août 2015 justifie la création d’un corps de médecins de contrôle alors que sans cette introduction, rien dans le corpus du code du travail ne le justifie selon la loi. Seul l’article R4624-31 du code du travail y fait référence sans support « loi » mais uniquement pour justifier l’inaptitude en une seule visite pour danger immédiat sans que l’inaptitude ait cette dimension comme objet.


Article  R4624-31 du code du travail

« Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé :

1° une étude de ce poste ;

2° une étude des conditions de travail dans l'entreprise ;

3° deux examens médicaux de l'intéressé, espacés de deux semaines et accompagnés, le cas échéant, d'examens complémentaires ».

Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu'un examen de préreprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen.

En conclusion

L’introduction princeps de l’article L.4622-2 du Code du travail rend juridiquement l’introduction de la prévention de la sécurité des tiers dans le 3 du même article, dans l’article L. L4622-3 et 4 du Code du travail contraire au caractère exclusif des missions des services de santé au travail centrées sur le seul travailleur.

Et quelle charge de travail pour les médecins du travail !

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