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05 / 12 / 2012 | 7 vues
François Dubreuil / Membre
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Gouvernance : demain, des couples pour diriger les entreprises ?

Le billet précédent faisait écho aux observateurs qui diagnostiquent un renouveau du paternalisme ou, à l’opposé, l’émergence du maternalisme d’entreprise en faisant un lien entre l’évolution des pratiques d’entreprise et l’évolution des familles. Ce billet poursuit la réflexion. 

L’évolution des familles est marquée en tendance par plus de fluidité des liens, une multiplication des sources d’autorité et une porosité des frontières. Massivement, ce qui a changé en profondeur dans la famille, c’est le passage d’un monisme à une dyarchie parentale. Comment, dans ce contexte, comprendre l’exception française que constitue le statut de président directeur général ? Dans la très grande majorité des pays, les rôles de président du conseil d’administration (president of the board) et de directeur général (CEO) sont le plus souvent distincts.

Les familles tendent à avoir des frontières moins stables et, du point de vue des enfants, à être marqués par la multiplication des figures d’autorité. En France, un enfant sur dix vit dans une famille recomposée, deux tiers avec un beau-père et un tiers avec une belle-mère. Par ailleurs, 11 % des enfants résident de façon alternée chez l’un puis l’autre des deux parents. Cette évolution est encore plus nette dans les classes supérieures. De façon symbolique, les familles de MM. Sarkozy et Hollande sont des familles recomposées. L’expérience de rapports hiérarchiques complexes débute donc de plus en plus tôt.

En quoi cette évolution en cours des familles et de la socialisation primaire peut-elle préfigurer l’organisation des entreprises de demain ?
 
  • Les organisations matricielles, le fonctionnement par projets, le travail à distance, tous ces modes de fonctionnement se diffusent d’autant plus facilement que les nouveaux entrants sur le marché du travail ont appris à vivre de façon précoce avec de multiples sources d’autorité, dans plusieurs domiciles, en lien à distance avec leurs parents…

L’évolution la plus forte dans les familles est toutefois le fait que depuis 1975 les deux parents (l’homme et la femme), voire les deux parents adoptifs de même sexe, exercent à égalité l’autorité parentale. Au sommet de l’État, le pouvoir est également exercé par un couple, celui formé par le Président de la République et le Premier Ministre. La séparation des pouvoirs entre le Président de la République en charge de la politique extérieure, de la défense, des institutions (rôles traditionnellement masculins) et un Premier Ministre en charge de l’Économie et de l’Intérieur (rôles traditionnellement féminins) a d’ailleurs toujours été empreinte d’une dimension de genre. Là où le président Nicolas Sarkozy avait porté à son apogée la domination de l’hyper-président, le Président François Hollande s’est voulu par contraste un président normal, avec un Premier Ministre renforcé. Pourtant, il n'a jamais été envisagé de supprimer la figure du Premier Ministre ou celle du Président.

Pourquoi cette insistance sur le couple comme unité standard d’exercice de l’autorité ?
 
Parce qu’il y a un point qui différencie fortement la gouvernance de la majorité des entreprises françaises, du fonctionnement du reste de la société française, comme de la gouvernance de la majorité des entreprises dans le monde : on dénote en France un très grand nombre de PDG, fusionnant les rôles de président et de directeur général. Ce n’est probablement pas un hasard si la création du poste de président directeur général date du régime de Vichy, moment d’exacerbation du paternalisme en France. Or, bien que la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001 ait distingué ces deux fonctions et même si les couples président et directeur général se font plus fréquents, le cumul des deux fonctions reste encore aujourd’hui très fréquent dans les entreprises françaises. Cette (con-)fusion des rôles se retrouve en cascade en interne : filiales, établissements, services (avec l’affaiblissement ou la disparition des directeurs des ressources et des adjoints). Une seule personne se retrouve en charge de l’externe et de l’interne, et l’interne est alors souvent sacrifié.

  • Redécouvrir les vertus du couple président-directeur général serait probablement une façon de normaliser le fonctionnement des entreprises françaises au regard de celui des entreprises en Europe, et d’harmoniser le fonctionnement de l’entreprise avec celui de la famille. Le (plus rarement, la) (m-)patron(-ne) unique à la tête de l’entreprise constitue un fonctionnement qui ne résonne plus avec le fonctionnement de la société.

Généraliser les couples président-DG, ainsi que les couples DG-DGA, ce serait aussi redonner une place accrue à l’interne. Valoriser à ces postes un manager issu de la promotion interne, capable de conduire le changement avec les ressources internes, ce serait également une manière d’affronter la réalité des compromis à tisser, plutôt que de chercher à agir par procédures, ruptures ou externalisation des difficultés. Est-ce un hasard si les PDG français sont aussi plus fréquemment issus de l’externe de l’entreprise et donc plus défiants à l’égard de leurs salariés comme des organisations syndicales ?
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