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23 / 03 / 2011 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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Le grand soir de la formation professionnelle, Acte II, scène 3

Depuis plus de 10 ans les pouvoirs publics proclament leur souhait de réformer une formation professionnelle cloisonnée, complexe et corporatiste. Les partenaires sociaux avaient voulu faire du DIF en 2003 la « bonne à tout faire » et le phare de la formation, il est peut être temps de lui octroyer les moyens de ses ambitions.

Les rapports, les accords interprofessionnels ou les lois semblent toujours se heurter aux mêmes lenteurs et pesanteurs, la formation professionnelle à la française demeure enkystée et bloquée sur des modèles dépassés. Alors que notre pays et ses travailleurs broient du noir (41 % des salariés craignent pour leur emploi, 60 % ne se voient guère d’avenir professionnel), notre pays ne parvient toujours pas à changer sa donne éducative : les jeux seraient faits une fois pour toutes pour ceux qui ont pris un mauvais départ (jeunes sans qualification, travailleurs déclassés, seniors écartés de l’emploi).

Après avoir raté sa première réforme de la formation professionnelle en 2004, notre pays tente encore depuis 2008 de faire bouger les lignes (« réformer un système de formation professionnelle à bout de souffle, dans son organisation comme dans son financement », N. Sarkozy en 2007).

  • Un an après le vote de la loi de novembre 2009, deux Députés ont été chargés de rédiger un bilan d’étape sur l’application de la réforme de la loi sur la formation.

Examinons en détails leurs remarques sur le volet du droit individuel à la formation.

La teneur globale du rapport ne surprend guère : la formation professionnelle n’a pas (encore) changé, elle n’a pas trouvé de pilote et sur le tarmac il est toujours aussi difficile de se former quand on est peu qualifié.

Il n’est évidemment pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Les partenaires sociaux ont beau conclure accords sur accords depuis des années, les textes de loi restent lettre morte sur le terrain, des catalogues de bonnes intentions que personne ne souhaite réellement mettre en œuvre. Face à une école qui s’affaisse d’année en année et alors que la crise réduit partout l’effort formation des entreprises la formation professionnelle peut-elle éluder ses responsabilités éducatives et sociales ?

Extraits et commentaires sur ce rapport d’étape, rédigé par les Députés Patrick Gilles (PS) et Gérard Cherpion (UMP)

  • L’amélioration des dispositifs de la formation professionnelle continue

De réelles incertitudes sur l’interprétation et l’application du dispositif ont été signalées.

Elles renvoient plus généralement à l’ambiguïté centrale qui s’attache à l’ensemble du dispositif DIF, le DIF n’est pas véritablement un « droit à formation » (puisqu’il s’exerce en accord avec l’employeur), mais seulement un droit du salarié à prendre l’initiative de demander une formation.

Notre commentaire

Si l’on comprend bien, ceux-là mêmes qui ont discuté, amendé et élaboré la loi déplorent aujourd’hui les incertitudes liées à leur propre texte.

Ils se rendent compte (un peu tard) que ce texte ne présentait pas toutes les qualités requises pour être utilisé par les 15 millions de travailleurs qui ont pour vocation de réclamer leur droit à la formation !

À quoi bon légiférer si un an après on regrette déjà de ne pas avoir réglé les problèmes de fond de la formation (y ajoutant même de la complexité alors qu’on prétendait la développer et la simplifier) ?

  • Le DIF portable : un « droit de tirage » pour les salariés ?

Le DIF portable conservé après la rupture ou le terme du contrat de travail a, dans les termes de la loi, le caractère d’un droit opposable par le salarié à l’OPCA sollicité : la loi ne prévoit pas que l’OPCA concerné puisse refuser la demande de financement présentée.

Il semble cependant que des OPCA prétendent de manière générale avoir un droit de refus de prise en charge des DIF portables qui ne rentrant pas dans leurs priorités, sans doute à cause de l’ambiguïté de portée générale sur la nature du DIF qui a été rappelée précédemment.

Notre commentaire

Les partenaires sociaux et le législateur auraient inventé (après des années de négociation) un droit à la formation ambigüe (ce qui reste à démontrer). Ce droit à la formation lors d’une rupture professionnelle, enfin devenu opposable, trouve encore en travers de son chemin des OPCA qui bloqueraient son déploiement pour des raisons financières ou organisationnelles.

Encore une fois, pourquoi voter des lois si les acteurs institutionnels de la formation, ces partenaires sociaux qui bénéficient d’agréments de l’État (les OPCA) ne les mettent pas en œuvre loyalement sur le terrain du travail ?

Mais regardons chez Pôle Emploi ce qui se passe quand un chômeur demande le bénéfice de son DIF portable ?

S’agissant de la mobilisation du DIF résiduel alors que l’ex-salarié est au chômage, elle est, selon les termes de la loi, effectuée après « avis » de son référent chez Pôle Emploi (ou l’organisme cotraitant qui assure son accompagnement). Cet « avis », s’il est négatif, peut-il être opposé au salarié pour lui refuser la prise en charge ? La question est sans doute légitime en vue d’optimiser les moyens disponibles pour les formations, mais toujours est-il que la loi ne le prévoit pas.

Là encore, la loi était peu précise en évoquant un avis du référent de Pôle Emploi pour réaliser un DIF.

Pourquoi cette ambiguïté ? Parce qu’il est plus facile de se réfugier derrière les grands principes que d’exiger de Pôle Emploi qu’il joue son rôle d’accompagnement des DE (aujourd’hui, il se cantonne principalement dans leur contrôle).

  • La question du « guichet » gestionnaire

Quels rôles respectifs pour Pôle Emploi et les OPCA appelés en financement ? Actuellement, il semble que l’un et les autres aient tendance à se « renvoyer la balle », aux dépens des premiers demandeurs de valorisation du DIF portable.

Notre commentaire

Pôle Emploi botte donc en touche et renvoie les demandeurs d’emploi vers l’OPCA de leur ancien employeur pour mettre en œuvre un DIF porté. Comme les OPCA n’ont pas la capacité (ni parfois la volonté) de répondre à des demandes nombreuses et individuelles, on voit bien comment le piège se referme sur l’inconséquent chômeur qui tenterait d’utiliser son DIF : le parcours du combattant le guette et il lui faudra beaucoup de persévérance et de patience pour (peut-être) parvenir à se former (le découragement guette ceux qui ont le moins d’outils et d’arguments pour faire valoir leurs droits).

Tout pousse donc les moins qualifiés à abandonner leur projet de formation et les acteurs de la formation (entreprises, OPCA, SPE) préfèrent transférer la patate chaude plutôt que de traiter sérieusement les dossiers formation.

Peut-on encore parler d’accompagnement quand Pôle Emploi se décharge ainsi sur les individus du traitement des dossiers formation complexes ?

  • La question du DIF « transférable » en cas de licenciement pour faute grave.

La rédaction de la loi elle-même comporte une disposition difficile à mettre en œuvre en raison de ce qui apparaît comme une contradiction interne. La transférabilité a été étendue aux licenciements pour faute grave (elle ne reste exclue que pour les licenciements pour faute lourde). Or, le licenciement pour faute grave a justement pour effet de supprimer le préavis de licenciement…

Notre commentaire

Ceux qui rédigent les lois sociales (et, par ricochet, le Code du Travail) ne connaissent donc pas tous les arcanes du Code du Travail et découvrent (un peu tard) qu’ils ont introduit des règles impossibles à appliquer.

On est en droit de se demander de quelle expertise dispose le législateur quand désormais il rédige ses lois.

  • Des enjeux financiers incertains

La question des enjeux financiers, qui se pose pour le DIF dans son ensemble (1), est particulièrement prégnante pour ce qui est du DIF portable, dès lors qu’il doit être considéré, comme on l’a vu, comme un droit opposable au bénéfice du salarié.

Notre commentaire


Résumons les choses : les partenaires sociaux puis le législateur ont inventé en 2003 un dispositif infernal (la bombe DIF), fondamental pour changer notre formation et permettre aux moins qualifiés de s’impliquer dans un projet professionnel.

En 2011 (alors que malgré les mises en garde on a laissé le dispositif dériver), personne ne veut en assumer le coût et ses conséquences probables (1 milliard d’heures de DIF cumulées qui peuvent faire exploser le système de la formation).

Le coût, estimé à 5 ou 8 milliards d’euros par an (soit 300 ou 400 euros par an et par personne quand un lycéen coûte 10 000 euros par an), est-il démesuré pour permettre d’assurer notre développement dans l’économie de la connaissance et de l’information ?

Même si ce DIF coûte cher au final, ces sommes permettront tout de même à des millions de travailleurs de se former (ce qui leur est largement refusé aujourd’hui).

En matière de DIF, trois solutions semblent désormais s’offrir au monde du travail.

  • Abandonner purement et simplement le DIF. Ce droit concernant tous les actifs (fonctionnaires comme salariés du privé) et qui a été utilisé par moins de 5 % d’entre eux depuis 2004, ce droit serait « gommé », faute de développement mais aussi de courage politique. L’avenir professionnel de millions de travailleurs serait gravement obéré pour des années.
  • La glaciation du dispositif : aucun financement nouveau, aucune disposition n’améliorant son organisation, les salariés laissés seuls face à un monde professionnel indifférent et au final un droit à la formation à deux vitesses : utilisé dans les entreprises prospères et sans portée dans celles où l’emploi est évidemment le moins assuré.
  • Enfin, peut-être, une amélioration du dispositif via 3 mesures simples à mettre en œuvre :
    • la sécurisation des droits à la formation sur un compte épargne formation (CEF) géré par une institution unique (URSSAF à l’instar du CESU) et qui serait abondé tous les ans par l’employeur d’un montant forfaitaire pour se former 20 heures ;
    • le provisionnement comptable des sommes versées sur ce compte épargne formation appartenant aux salariés (le DIF devenant une dépense certaine pour les entreprises) ;
    • le passage de 9,15 euros (autrefois 60 francs de l’heure) à 15 euros de l’heure pour le prix des contrats de professionnalisation et donc du DIF des salariés.

  

Les vrais coûts de l’absence de formation et d’anticipation, nous les connaissons aujourd’hui en France : produits mal positionnés ou non compétitifs, qualité médiocre des services rendus (y compris dans la fonction publique), désespoir sociale, précarité et difficulté d’insertion pour les jeunes, éloignement de l’activité pour les seniors.

Ce prix du non-travail est évidemment bien plus élevé que celui d’une formation de qualité. Doit-on apprendre à pêcher ou bien importer notre poisson ? Éclairer les esprits ou remplir sans fin des vases ? Raccrocher la société de la connaissance ou chercher notre avenir dans le rétroviseur ?

Le DIF ne sera pas un coût supplémentaire pour le pays mais une répartition différente (plus équitable) des efforts de formation. Dans la société de la connaissance, la formation n’est pas une option du contrat de travail mais une composante essentielle du travail, pour le pays comme pour ses entreprises. 

Il est désormais temps de passer des incantations aux décisions.

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