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21 / 09 / 2010 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Le DIF : sept ans de malheur en formation ?

Depuis 2003, l’histoire du DIF aura souvent été celle des occasions ratées, des rendez-vous manqués, de velléités de changement très rapidement oubliées. Dans un pays largement immobile, craignant pour son modèle social et son avenir économique, changer ou faire évoluer la formation professionnelle n’est pas une sinécure.

Reprenons un peu la chronologie de ce droit à la formation inaccessible encore à l’immense majorité des travailleurs.

En 2004, juste après le vote de la loi (qui mit en forme des accords interprofessionnels de 2003), un fol espoir étreignit le petit univers de la formation professionnelle. Le DIF allait changer la face de la formation et il fallait se mettre en ordre de marche pour accueillir des bouleversements qui faisaient alors l’unanimité.

Cet espoir était porté par un dispositif généralisé et inédit de formation professionnelle, une sorte de congés payés bis qui devait permettre aux organismes de formation de travailler à guichet fermé et à flux tendus (à l’instar des années qui suivirent la première loi sur la formation de 1971).

L’ANI de 2003 devait immanquablement entraîner un immense développement de la formation : il ne s’agissait pas uniquement de mettre en pratique un nouveau droit universel de se former, le DIF, mais aussi d’inciter (sous la pression des salariés et des représentants des personnels) les entreprises à investir plus et mieux dans la formation des hommes, ce capital humain tant négligé dans la plupart des organisations.

Au niveau de l’entreprise

Les cotisations obligatoires évoluaient peu (passant de 1,5 % à 1,6 % pour les plus de 20 salariés) mais le pari des partenaires sociaux était tout autre : sortir de la stricte obligation de payer (parfois détournée mais souvent incomprise) en contraignant les entreprises à augmenter volontairement leur participation au développement de la formation des salariés (via des demandes individuelles complétant le plan de l’entreprise).

Si le plan de formation nécessitait toujours des financements (avec le 0,9 % du plan) le développement du DIF impliquait que les entreprises deviennent réceptives et bienveillantes face aux demandes en développement de leurs salariés. Il s’agissait donc de sortir d’un contrôle strict par la loi, tout en suscitant la naissance d’une négociation inédite entre le salarié et son employeur (devenant dès lors coresponsables de l’employabilité).

Au niveau des organismes de formation

Le DIF représentait un défi redoutable car il eût fallu à la fois changer de braquet, de modèle économique et de public en formation. Le client principal n’était plus une organisation qui souhaitait mettre de l’huile dans ses rouages (industriels), sanctionner (ou récompenser) ses salariés, mais un salarié devenu acteur (et auteur) de son projet professionnel. Les salariés devaient faire leur révolution en passant du statut passif de sujet de la formation à celui de citoyens sociaux libres, informés et formés volontairement.

Les humanités se rapprochaient après des siècles d’absence d’un monde du travail qui les avait cantonnées dans l’éducation initiale.


Le marché de la formation, éclaté en 50 000 prestataires, fonctionnait sur deux registres principaux : celui de grandes structures qui étaient parvenues à industrialiser et à standardiser des  services de formation. Ces (quelques) grands organismes de formation (nés au début du XXème siècle ou après la réforme de 1971) étaient le pendant de notre grande industrie ou de la chaîne d’hypermarchés, d’énormes organisations condamnées à grandir sans cesse, nourris année après année au plan de formation, couvrant la quasi-totalité des besoins des entreprises (organisation, conseil, formation, externalisation)… Mais rarement des salariés !

Face à ces grandes organisations, subsistait un marché très atomisé avec des dizaines de milliers de formateurs indépendants ou de très petites structures (parfois associatives) qui tentaient de survivre en jouant de l’hyper-spécialisation, de la flexibilité, des bas prix  ou de la proximité avec les PME, pour assurer leur activité dans la formation professionnelle continue.

Ce marché de la formation aborda souvent le DIF avec enthousiasme, une confiance et une envie de faire bouger les lignes. Le marché de la formation pensait alors revivre son âge d’or (le second après la loi de 1971) ce temps béni où il suffisait d’avoir un centre de formation pour être assailli de clients. Une demande jamais satisfaite, comme le pays en connaît tous les 20 ou 30 ans dans le domaine de services aux entreprises.

La quasi-totalité des organismes de formation firent et montèrent leurs classes de « formation tout au long de la vie » : comprendre la loi, construire des offres, requalifier le catalogue (avec, par exemple, des formations de 20 heures) ou travailler sur le conseil au déploiement du DIF (au besoin, en rédigeant moult articles ou ouvrages savants sur la question).

2005

En 2005 (il fallait bien attendre que les 20 heures soient atteintes) les acteurs de la formation étaient prêts et attentifs à accueillir les premiers bataillons de demandeurs de DIF. Des enquêtes ou estimations (plus ou moins fantaisistes) circulaient dans la presse spécialisée : de 5 à 20 % des salariés allaient demander leur DIF dès cette première année de déploiement.

Fin 2005 : le DIF, qu'est-ce que c'est ? Rien ne se passa comme prévu en cette première année. Le DIF entamait en fait sa longue carrière de marginal de la formation ! Moins de 2 % des salariés l’utilisèrent en 2005 et parmi ceux-ci de nombreux DIF étaient arrangés par l’employeur (le DIF que les salariés étaient contraints d’accepter pour obtenir la moindre formation).

Mais l’espoir faisant vivre, en 2006, c’était promis, le DIF allait démarrer sur les chapeaux de roues, le leader de la formation ne prédisait-il pas 7 % de DIF, et encore 25 % en 2007 ?

2006

Fin 2006, le DIF devint réellement maudit pour certains. Le nombre de DIF annuels n’évoluait pas, une queue de statistique avec 3 % de DIF dans l’année, le dispositif qui, en 6 ans, était censé concerner l’immense majorité de salariés (70 ou 80 %) mettrait à ce rythme un siècle ou deux pour toucher tous les travailleurs.


Beaucoup de mauvais génies attaquaient désormais ce pauvre DIF : les entreprises qui se donnaient sans cesse de nouveaux délais (« nous avons d’autres priorités »), les salariés n’ayant toujours pas compris l’intérêt de se former hors temps de travail, les OPCA qui alourdissaient le traitement des dossiers (quand ils ne les rejetaient pas purement et simplement) et les organismes de formation qui faisaient leurs comptes et commençaient à trouver le temps long (et coûteux) !

2007

Malgré tout, 2007 serait (c’était promis) l’année de toutes les audaces : le dispositif était à mi-parcours, les salariés avaient leur compteur à moitié pleins (60 heures sur les 120 maximum) et les entreprises intégraient que sans volontarisme et cadrage du dispositif, celui-ci deviendrait un jour prochain incontrôlable et terriblement coûteux. Une rumeur commençait aussi à poindre : un possible  abandon du DIF qui mourrait alors de sa « belle mort ». Un  rapport, commandé par la CCIP, tentait de lui donner le coup de grâce : le DIF serait donc abandonné ou très édulcoré, certaines entreprises en faisaient désormais le pari.


Pour d’autres entreprises (plus réalistes), il devenait urgent d’agir. Les compteurs DIF des salariés donnaient le tournis, elles avaient intégré que ceux-ci ne descendraient jamais plus, qu’il fallait faire au plus vite des propositions DIF aux salariés. L’année suivante, 2008, serait donc l’année du DIF.

Fin 2007 : le DIF, un objet formant toujours non identifié mais qui attendait son heure.

2008

L’année du démarrage ? Un faisceau de signaux alerta les DRH et services formation, le Président de la République nouvellement élu contraignait les partenaires sociaux à revenir à la table des négociations sur la formation (avec un premier ANI signé dès janvier 2008).  Le pays souhaitait réformer son marché du travail et instaurer une flexisécurité professionnelle qui passait par la conservation de certains droits détachés désormais du statut du salarié (dont le DIF) après un licenciement ou une démission (facilitée par la rupture conventionnelle adoptée durant l’été 2008).


Malheureusement, deux événements retardèrent une nouvelle fois le démarrage du DIF.

  • La volonté des pouvoirs publics de mener une réforme globale de la formation (y compris au niveau régional et du SPE) et donc de laisser du temps supplémentaire (une année en fait) aux partenaires sociaux avant l’examen d’une nouvelle loi courant 2009 (2010 devant être celui du grand chantier des retraites).
  • La crise économique qui, dès la fin de l’été 2008, ravagea une partie du tissu social et économique français avec pour conséquence la réduction drastique des budgets et des projets en formation (la formation étant une fois de plus considérée comme une variable d'ajustement docile et facile).


Ainsi, 2008 fut donc l’année des occasions perdues. Le DIF était cette fois condamné par la crise à patienter une année de plus.

2009 : le détournement du DIF

En 2009 la crise frappa de plein fouet le tissu économique et social hexagonal (notamment les usines). Certaines entreprises exsangues, sans commandes, sans trésorerie, ni espoir de reprise, préparaient des plans massifs de licenciements. Elles n’en eurent pas toujours  l’occasion car les pouvoirs publics encouragèrent le développement du chômage partiel et autorisèrent la mise à contribution des financements DIF mutualisés par les OPCA pour assurer les paies en fin de mois.

Le DIF connut donc un paradoxal regain : il fut mis en place dans de nombreuses entreprises pour former sur le plan de formation durant les périodes de chômage. Ce droit individuel à la formation, après avoir été une première fois victime de la crise fin 2008, fut alors mis à contribution dans un but autre que celui du développement des compétences des salariés.

Fin 2009 : le DIF aura tenu un rôle surprenant de béquille financière et sociale au plus fort de la crise économique.

2010 : Le krach en formation professionnelle ?

La date butoir des 6 ans est atteinte depuis le mois de mai 2010 : 10 millions de salariés du privé ont désormais leur compteur DIF pleins, au bas mot la dette formation des entreprises s’élève à 1 milliard d’heures. La Cour des Comptes estimait en 2009 que le risque total DIF pour les entreprises était de 77 milliards d’euros.

La perte de richesses entraînée par la crise ne pouvant plus être compensée par l’État ou par la dette, notre pays se retrouve face à de redoutables choix et contraintes sociales : comment remettre sur le marché du travail tous les jeunes faiblement éduqués, les salariés déclassés, les seniors sans avenir professionnel ?

Comment une formation professionnelle construite principalement pour les plus qualifiés va-t-elle pouvoir mettre à niveau, reconvertir (32 % des salariés souhaitent changer de métier) ou simplement promouvoir des millions de salariés alors qu’elle reste atteinte des trois maux dénoncés par le Sénat : complexité, corporatisme et cloisonnement ? (les 3 « C » du rapport du Sénateur Carle en 2007) ?

Dans les prochaines années, la crise et ses répliques risquent de laisser sur le « carreau professionnel » de nombreux travailleurs peu qualifiés. Notre pays aura-t-il la capacité financière et l’ambition d’assurer sa cohésion sociale en redonnant un espoir professionnel à ceux qui n’ont pu, pour diverses raisons, raccrocher les wagons d’un monde du travail soudainement devenu très exigeant et sélectif ?

La réponse n’est pas évidente mais le droit individuel à la formation est toujours là, au service de tous, pour assurer cette indispensable sécurisation dans un monde professionnel qui ne peut abandonner un quart des actifs du pays.

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Bonjour,

 

Il existe très peu de jurisprudence sur le DIF pour le moment et beaucoup de questions que suscite ce dispositif demeurent sans réponses...

Toutefois, ces dernières années, deux arrêts importants sont intervenus dans le droit de la formation professionnelle (et on sait qu'ils sont rares...) ;  s'ils ne concernent pas directement le DIF, ils peuvent permettre une certaine anticipation quant à l'attitude que pourrait avoir la Cour de Cassation dans un avenir peut-être proche.

 Ces deux arrêts récents (l'arrêt "union des opticiens de 2007 et un arrêt du 2 mars 2010 ) sont à mon avis tout-à-fait dans le prolongement du célèbre arrêt "expovit" de 1992.

 Souvenons-nous : en 1992, la Cour de Cassation avait alors posé en principe que employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, avait «  le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi". (    

http://bit.ly/aZAR2f)

Il en résultait que le salarié était parfaitement en droit de s’appuyer sur cette obligation pour obtenir, en cas de licenciement, des dommages-intérêts pour rupture de contrat dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Fondé à l’origine sur le 3ème alinéa de l’article 1134 du code civil, le principe fut ensuite repris par le législateur et la dernière mouture de l’article L6321-1 du code du travail issue de la loi du 4 mai 2004 vise désormais non seulement l’adaptation du salarié à l’évolution de son poste de travail, mais également le maintien de sa capacité à occuper un emploi ( http://bit.ly/93sd1e)

Et comme on pouvait s'y attendre, la Cour de Cassation , par un arrêt du 23 octobre 2007 ("Union des Opticiens c./Mmes Soulies et Pauleau" ),  en a tiré toutes les conséquences qui s’imposaient ( http://bit.ly/cIM0FA)

Dans cette affaire , deux salariées présentes dans leur entreprise depuis respectivement 12 et 24 ans avaient été licenciées en 2001 ; durant toute leur carrière, elles n’avaient toutes deux «  bénéficié » que de quelques jours de formation en 1999.

La Cour de Cassation n'a pas hésité à considérer "qu’au regard de l’obligation de l’employeur d’assurer l’adaptation des salariées à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi , ces constatations établissaient un manquement de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui résultant de sa rupture".

Ainsi, la Cour de Cassation, qui a appliqué la loi de 2004 (pour un licenciement de 2001...), a admis que les salariées en cause pouvaient cumuler l’indemnisation liée à la rupture de leur contrat fondée sur le défaut de cause réelle et sérieuse et l’indemnité spécifique pour la réparation du préjudice causé par l’insuffisance des initiatives de leur employeur pour maintenir leur " employabilité".

Le 2 mars 2010 dernier, la Cour de Cassation a « enfoncé le clou » dans une espèce où les salariés en cause avaient attaqué directement leur employeur ce qui n'avait pas été le cas en 2007 ( intervenu dans un contexte de  licenciement..). :http://bit.ly/cbg88v

A première vue, les obligations définies à l'article L6321-1 sont très largement indéterminées et le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour sanctionner tout manquement, le degré d’exigence pouvant varier selon les capacités économiques de l’entreprise concernée(n'oublions pas non plus que  le juge pourrait très bien pousser les textes au bout de leur logique, en particulier l’article L1233-4 du (nouveau) code du travail qui dispose que "le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés".)

Assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail " implique la responsabilité exclusive de l’employeur censé prendre l’initiative des formations nécessaires ; seul le plan de formation est donc concerné dans ce cas de figure.

Par contre , " veiller " à la capacité des salariés à occuper un emploi laisse place à une responsabilité partagée entre l’employeur et le salarié. On peut donc penser que le DIF est relié à cette obligation générale qui pèse sur l'employeur.

 Seulement , avec le DIF, on peut désormais mettre un chiffre derrière l'obligation de veiller au maintien de l'employabilité du salarié....

On ne peut à mon sens exclure le fait que la prochaine étape jurisprudentielle importante soit un arrêt sur le DIF : 

Car ,compte tenu de l’arrêt de la Cour de Cassation de 2007, il est tout-à-fait possible de faire valoir qu’au regard de l’obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi, l’obstacle mis par l’employeur à l’utilisation du droit individuel à la formation en se fondant notamment sur des motifs illégaux (en clair tout motif étranter au choix de l'action de formation) peut révèler un manquement dans l’exécution du contrat de travail entraînant lui aussi un préjudice réparable. Et la simple analyse des budgets (qui permettrait de suppléer l'absence de motivation) pourrait permettre de mettre en évidence des refus fondés sur des motifs illégaux...(Le motif tiré de l'insuffisance des budgets est à l'évidence étranger au choix de l'action de formation) .

Ceux qui penseraient que le DIF est un dispositif dépourvu de sanction se trompent : La responsabilité contractuelle de l’employeur pourra être engagée.