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29 / 06 / 2009 | 3 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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La diversité ethno-raciale : l’enjeu majeur

Les enquêtes anonymes et volontaires sur le sentiment d’appartenance à une minorité ethnique et l’éventuel degré de ressenti d’une discrimination ont la préférence de Yazid Sabeg, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Ce dernier déclarait le 4 juin dernier à une table ronde de l’Ajis (Association des journalistes de l'information sociale) que les enquêtes patronymiques pratiquées sur la base du fichier du personnel étaient illégales au motif qu’il y avait exploitation de données personnelles, certes rendues anonymes, sans autorisation préalable des salariés. Reste que des enquêtes patronymiques sur la base du fichier du personnel, validée par la Cnil, ont été conduites au sein du groupe Casino et plus récemment au Club Méditerranée par l’association ISM Corum sur la base du vivier des candidats et sur le fichiers RH des personnes en poste.

Photographie ethno-raciale dans le bilan social

Pas question pour autant d’imposer l’enquête par la loi déclarative. Le Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations (Comedd) présidé par François Héran, le directeur de l’Ined (Institut national d’études démographiques), qui rendra ses travaux finalement début septembre (initialement, ce devait être le 30 juin) devrait contribuer à établir les normes selon lesquelles les entreprises pourraient intégrer ces résultats « statistiques » dans un bilan social obligatoire qui se contente pour le moment de proposer une répartition entre les salariés français et les salariés étrangers.

« De telles enquêtes ne sont pas recevables par un juge. Elle ne permettent en aucun cas de diluer la responsabilité potentielle de l’employeur » - Marc Dubourdieu, directeur général de la Halde
Toujours lors de la table ronde de l’Ajis, Yazid Sabeg avançait que les résultats « statistiques » de ces enquêtes conduites par les entreprises étaient des éléments permettant de prouver une volonté de diversifier les effectifs. Notamment face à la justice dans le cadre de plaintes pour discrimination engagées par des salariés ou des candidats. « De telles enquêtes ne sont pas recevables par un juge. Elle ne permettent en aucun cas de diluer la responsabilité potentielle de l’employeur », remarque Marc Dubourdieu, directeur général de la Halde qui accompagne en justice des personnes confrontées à des discriminations. Si la Halde s'oppose à des statistiques ethniques sur un plan national, elle n'est pas défavorable à des enquêtes de ressenti des discriminations dans les entreprises. « Nous préparons un guide méthodologique pour expliquer ce que l’on peut faire et ne pas faire en matière d’enquête », annonce Marc Dubourdieu qui estime qu’un tiers de confiance comme la Halde associé à la CNIL est indispensable pour contrôler les finalités de ces enquêtes.

Discrimination à l'insu de son plein gré

« Le risque c’est de rendre impossible la mesure de la vraie discrimination » - Jean-François Amadieu, Observatoire des discriminations

Pour la Halde, la mesure des discriminations doit être distincte de la mesure de la diversité. Les outils sont différents. Le testing est ainsi un outil de mesure des discriminations tandis que le CV anonyme serait au service de la diversité. Jean-François Amadieu, professeur en sciences de gestion à la Sorbonne et directeur de l’observatoire des discriminations se montre quant à lui tout bonnement hostile aux enquêtes sur le ressenti des discriminations : « le risque c’est de rendre impossible la mesure de la vraie discrimination. » Des personnes pourraient, in fine, avoir le sentiment de ne plus être victimes de discrimination alors qu’elles le sont. Une forme de banalisation de la discrimination à l’insu de son plein gré.

Contre Comedd

La nécessité affirmée, début mai, par Yazid Sabeg de permettre aux entreprises de mesurer le sentiment d’appartenance à une minorité ethnique et le ressenti des discriminations ont déclenché de vives réactions. Un contre-Comedd est né sous la forme du Carsed (Commission alternative de réflexion sur les statistiques ethniques et les discriminations) où l’on retrouve Jean-Francois Amadieu mais aussi des experts de l’Ined comme Hervé Le Bras ou encore Alain Blum. Le Carsed affiche ses positions depuis le 29 juin.

  • À noter que l’Ined avait recommandé en 2006 à des entreprises qui s’interrogeaient  sur ce à quoi pourrait ressembler un questionnaire sur les origines des salariés de se borner à une question sur la nationalité des ascendants.

Les membres du Carsed estiment que la multiplication d’enquêtes ethno-raciales déclaratives conduira à légitimer l’ajout de données ethniques dans le recensement de la population française...Démagogie estime Yazid Sabeg qui affirme que la société française est déjà bel et bien fragmentée et qu’il est temps de voir la réalité en face.

Et le label dans cette histoire ?

Dans ce contexte, quelle est la place du label diversité délivré par l’Afnor sur la base d’un cahier des charges élaboré par l’Andrh ? Un label qui procède d’une approche très globale puisqu’il intègre la question des diversités au sens large : handicap, sexe, âge, origine, mœurs... Un label qui oblige les entreprises candidates à établir « un diagnostic portant sur les critères identifiés dans la loi afin de détecter les principaux critères de discrimination existants dans l’organisme. »

Si les indicateurs officiels existent sur le handicap, l’égalité hommes-femmes ou encore l'âge, c’est le vide absolu sur la question ethno-raciale. Alors que le label a pour le moment été délivré à une quinzaine d’entreprises, Yazid Sabeg demande une simplification de la procédure (avec baisse du coût associé) afin de voir se multiplier le nombre d’entreprises labellisées. Une forme de banalisation de la diversité.

Voilà un label qui ne s’intéresse pas aux outils mis en place pour tendre vers plus de diversité. Seule la mesure de l’atteinte des objectifs compte. C’est ainsi que Vinci ou encore CNP Assurance, deux entreprises récemment labellisées n’ont pas mis en place d’enquêtes ethno-raciales, d’enquêtes patronymiques, de testing ou encore de CV anonymes. Cela n’empêche pas d’agir. Vinci est ainsi conscient que la cooptation n’est pas un gage de diversification des recrutements. Notamment dans les concessions autoroutières. « Les partenaires sociaux considèrent cela comme un acquis social. Il nous appartient de faire comprendre les effets négatifs de ce mode de recrutement », souligne Erik Leleu, DRH de Vinci. À la CNP Assurance, la diversité passe par exemple par la mise en place d’un diplôme d’actuariat par la voie de l’alternance.

Anonymisation versus discrimination positive

Le CV anonyme ne concerne d'ailleurs aujourd'hui que de rares entreprises. Claude Bébéar, président d'honneur d'Axa et fondateur de l'association ISM-Entreprendre en est le principal porte drapeau. Mais pourquoi n’y a-t-il pas un décret rendant obligatoire l’anonymisation du CV dans les processus de recrutement ? Les prises de position anti-CV anonymes sont parfois virulentes. À l’image de celles de Julie Coudry (ex-présidente de la Confédération étudiante) co-fondafrice de la Manu, une agence qui à vise à promouvoir les compétences des diplômés des universités auprès des employeurs. Sur les 40 cabinets de recrutements de l’association « À compétences égales », seuls 13 sont ainsi prêts à expérimenter le CV anonyme. Outre la question du surcoût, les opposants aux CV  anonyme  estiment surtout que cela va tout simplement à l’encontre du principe d’une diversité que chaque personne devrait pouvoir afficher. En toile de fond, les CV anonymes, rendent en outre plus difficile le développement de la discrimination positive. C’est bien sur la base de leur CV non-anonymes que des jeunes de milieux sociaux défavorisés seront sélectionnés pour intégrer en octobre prochain, une classe préparatoire de l’Ena. Jean-François Amadieu fait remarquer que « l’on s’évite ainsi de regarder en quoi le concours de l’Ena porte en lui les germes d’une discrimination. »

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