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08 / 06 / 2009 | 29 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Le risque de l'homicide professionnel existe

Comment éviter qu'une nouvelle forme de violence surgisse dans la gravité des risques psychosociaux, celle de l'homicide professionnel ? Il nous faut demeurer vigilant pour éviter que demain un salarié à bout de tout, revenu de tout, n’entre dans l’entreprise avec un fusil « pour étendre tous ces beaux messieurs » comme me le disait dernièrement, sous la forme d’une menace à peine déguisée, un salarié dans une entreprise.

L'homicide professionnel représente le risque ultime, avec le suicide, des risques professionnels. Afin d'éviter l'escalade, la prévention doit s'exercer dès les premiers signes attestant de la présence de risques psycho sociaux.

L'évitement

Quand une entreprise génère, en raison de ses modes d'organisation et de management (hyper sollicitation, débordements cognitifs, manque de soutien, négation des savoir-faire, faible participation aux processus décisionnels, manque de reconnaissance, perte de sens au travail etc.), des dysfonctionnements importants, les salariés tentent dans un premier temps d'y faire face ! De s'opposer à ces derniers ! De faire valoir d'autres possibles par la parole ! Par l’opposition ! Ces tentatives sont plus ou moins individuelles ou collectives ! Plus ou moins bien organisées ou avortées ! En cela, la présence de représentants du personnel peut aider à ne pas se soumettre à l'engluement dans cette résine organisationnelle.

  • Si la résistance plus ou moins efficiente ne fonctionne pas, alors les salariés, sur le mode individuel, vont tenter de se soustraire à ces impacts. Ici, selon moi, commence le premier niveau attestant de la présence de risques psycho sociaux. Il s'agit du niveau de l'évitement.


Après avoir tenté de parler, de s'exprimer pour combattre les effets de ces dérèglements qu’ils subissent, les salariés se taisent et se soustraient par l'évitement. Les salariés commencent à quitter l'entreprise pour ceux qui le peuvent. Le turn over est corrélé à la fois à l'âge, au niveau de qualification et à l'état du marché du travail. Les salariés peuvent aussi décider de se mettre en congé formation longue durée. Ou encore d'opter pour un congé parental. Ainsi, j'ai rencontré, au cours de nos enquêtes dans des structures bancaires, plusieurs femmes très conscientes de leur situation de santé menacée par les contraintes professionnelles. Elles me déclaraient : "Je pars en congé parental longue durée ! De toute façon je voulais un troisième enfant et je n'en peux plus !"  La stratégie d'évitement se retrouve surtout au niveau de l'absentéisme. Ce dernier s'est beaucoup renforcé dans les grandes structures. A tel point qu'il devient une menace pour la pérennité de ces structures. Comment travailler avec sérénité quand le niveau d'absentéisme atteint 10 % ? A ce sujet, les PME, par leur mode de régulation sociale, font heureusement beaucoup mieux que les grands groupes ou que les collectivités locales. 1 point d'absentéisme équivaut, il faut le savoir, à environ 1 point de masse salariale : recrutement, besoins en formation, recours à l'intérim, perte en qualité etc. sont les avatars négatifs du grippage social inhérent aux dysfonctionnements de l’entreprise.

Le harcèlement

Le second niveau est ce que l'on appelle souvent malencontreusement celui du harcèlement. Ce n'est d'ailleurs pas, le plus souvent, du harcèlement. En effet, ce dernier suppose des actes répétés portant atteinte à la dignité, aux conditions de travail, pour conduire la victime à se soumette... A ce niveau, on constate des tensions très fortes entre les services et les différents corps constitués de  l'entreprise. Ces tensions s'expriment de diverses manières : coup de gueules, stratégie d'accaparement du processus de décision, coalition diverses et lutte de clans. Pour les salariés, l’atmosphère du travail devient en fait irrespirable et il est souvent impossible de se recentrer sur ce qui fait sens pour tous à savoir le travail...

Le travail occupe dans notre univers une fonction d'intégration sociale. Le travail c'est ce qui permet à l'être humain de mettre en oeuvre sa créativité, de se renouveler au quotidien dans un jeu complexe de miroirs où on est reconnu par les autres et où cette reconnaissance nourrit notre identité. Dans des univers aussi délétères et aussi dégradés, chacun se replie sur sa sphère attend que le temps passe... ne fait donc plus preuve d'un engagement  stimulant…

  • Certains sociologues libéraux vont jusqu'à parler de "sous travail", alors qu'il s'agit bien plus de stratégie individuelle de préservation. Ce niveau est là encore très coûteux pour l'entreprise qui perd en raison de la désimplication des salariés.

La violence

 Enfin, le dernier niveau est celui de la violence. La violence est omniprésente désormais dans l’entreprise. Violence qui se déchaîne dans les agressions verbales, mais aussi physiques : des cadres qui se battent, des hôtesses qui se tirent les cheveux, des salariés qui s’envoient des objets à  la figure, des pneus de véhicules crevés en guise de représailles, des clients « ou usagers » qui insultent, qui crachent à la figure ou qui rouent de coups des salariés au guichet, rendus responsables de maux dont ils sont bien entendu innocents.

Dans certains grands groupes, le cadre qui va déjeuner en laissant son veston accroché au portemanteau a parfois la surprise de le trouver lacéré au cutter à son retour. Dans une autre entreprise, un salarié ayant détruit à l'aide d'une barre à mine tout le bureau de son supérieur direct , les salariés témoins de la scéne redoutaient de voir les problemes se traiter bientôt à coup de fusil.…Il convient aussi de garder en mémoire le drame survenu il y a quelques années et qui a vu la disparition de deux inspecteurs du travail fauché par un tir au fusil  alors qu'ils allaient dresser un controle. Que dire de la violence exercée par de jeunes cadres, diplômés fraîchement issus d’écoles de commerces et qui font « suer le burnous » de manière méprisante à des salariés qui pourraient être leur mère ou leur père ? Il faudra attendre que le bâton se retourne parfois contre eux pour qu’ils commencent à prendre de la distance avec ces modes d’exercice du pouvoir. Cette violence envahit le quotidien par des actes dérisoires propres à raviver la certitude que l'homme, s'il n'y prend pas garde, peut à nouveau se laisser conduire sur les chemins de la négation de l'humanité.

  • A ce niveau se trouve bien entendu la violence retournée contre soi-même, à savoir la tentative de suicide et le suicide. Actuellement, nous assistons au gravissement d'un pic suicidaire de manière clandestine. Pas de semaine sans qu'un nouveau drame ne vienne attirer notre conscience et nous faire toucher du doigt le prix que payent certaines familles, dans cette période engluée où nous avons les pieds sur terre, mais où nous ne savons plus avoir les yeux au ciel pour imaginer d'autres devenirs collectifs. La violence froide qui s'exerce parfois à l'encontre de supérieurs hiérachiques n'a jamais été vraiment mis en visibilité.  Quand le suicide est là l'homicide n'est plus très loin !



Alors il faut bien s’attendre à ce que demain une nouvelle forme de violence surgisse dans la gravité des risques psychosociaux, celle de l'homicide professionnel. Il est là présent dans certains actes de violence qui auraient pu conduire à cette extrémité. Des actes d’homicides ont dû d’ailleurs certainement avoir lieu, même si on n’en a pas connaissance !

Visibilité des coûts directs et indirects des risques psychosociaux


Tous ces éléments mis  à bout plaident pour une prévention des risques psycho sociaux audacieuce afin de respecter le droit mais surtout afin d'établir des communautes de travail respectueuse de l'épanouissement des individus.

La prévention des risques psycho sociaux : harcèlement, dépressions, burn out, suicides ou tentatives de suicides, addictions etc. peut et doit, bien entendu, se mener au niveau de leur réparation civile et pénale au sein des tribunaux, mais elle passe avant toute chose par la résistance au sein des entreprises, ce qui suppose de renforcer les collectifs de salariés d'une part et la mise en visibilité des coûts énormes directs et indirects qui résultent de la montée en force de ces risques psycho sociaux.

Dans les entreprises d'aujourd'hui, le facteur temps et le facteur rentabilité se conjuguent dans des process et procédures de plus en plus contraignants. Une recherche d'optimisation de courte vue passe ainsi souvent par la case "entassement dans les open space de salariés démotivés". Celle-ci peut de plus trouver un caractère rigide et permanent dans la mise en place de systèmes d’évaluation des performances. Même s'il faut bien le constater, les procédures de gestion et leurs indicateurs ont de plus en plus de mal à rendre compte des nouvelles dimensions que prend le travail.

Ces évolutions, qui permettent de moins en moins aux salariés de s'épanouir au travail (voir l'article de ma collègue le Docteur Elisabeth Font Thiney : « Peut-on encore parler de son travail ? »), disqualifient de plus en plus les collectifs et les solidarités, et accroissent les difficultés des salariés les plus fragiles.

Chacun imagine les coûts fantastiques qui résultent au niveau humain et collectif de la dérive des risques psycho sociaux.

Eviter l'isolement de l'individu en inventant de nouvelles démarches solidaires est une première réponse qui doit conforter l'absolue nécessité de procéder à des préventions primaires des risques psycho sociaux. C'est-à-dire en questionnant les modes d’organisation et de management et en ne demeurant pas à un niveau individuel dans le traitement de cette résine organisationnelle et parfois meurtrière .

 

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