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06 / 06 / 2017 | 30 vues
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Pétrole : Moyen-Orient, le dessous des cartes à travers le prisme pétrolier

Ce document ne vise pas à être exhaustif et ne l’est sûrement pas compte tenu de la complexité du sujet. Il a pour seul objectif d’essayer de clarifier un certain nombre de points sur la situation géopolitique d’une zone dont l’intérêt stratégique rend la compréhension indispensable.

À l’heure où la guerre se poursuit en Syrie, où la situation n’est toujours pas stabilisée en Irak et où l’Arabie Saoudite et certains pays du conseil des pays du Golfe (Émirats Arabes Unis, Bahrein, Koweit…) sont en froid avec l’Iran, il n’est pas toujours évident d’y voir clair dans les multiples causes et conséquences des différents conflits qui agitent la région. Petit tour d’horizon des raisons de la colère, de l’héritage du prophète Mahomet aux accords Sykes Picot, et des objectifs de chacun dans la région.

La pomme de la discorde : l’héritage de Mahomet

En 632, le prophète Mahomet, fondateur de l’Islam et considéré comme le prophète majeur de cette religion, meurt à Médine. Se pose alors la question de son successeur légitime pour diriger la communauté des croyants. Deux conceptions de l’Islam se font alors face pour désigner le premier calife de l’Islam. La première, celle des futurs sunnites, se base sur un retour aux traditions tribales et souhaite désigner Abou Bakr, fidèle compagnon du prophète. La seconde, basée sur les liens du sang, désigne Ali, gendre et fils spirituel de Mahomet.
C’est finalement Abou Bakr, soutenu par une majorité de musulmans, qui devient le premier calife et se charge de poursuivre l’œuvre de Mahomet.
Après deux années relativement calmes, la querelle de succession reprend et débouche sur l’assassinat d’Ali en 661. Au terme de cette opposition, une scission fondamentale naît au sein de l’Islam entre les chiites (littéralement les « partisans » d’Ali) reconnaissant Ali comme premier successeur de Mahomet et les sunnites, qui ne le considèrent que comme le quatrième calife.

Sunnisme et chiisme au Moyen-Orient



Depuis, ces deux schismes de l’Islam n’ont pas réussi à dépasser leur opposition et continuent de se livrer une guerre fratricide, comme, en un autre temps, catholiques et protestants s’opposaient malgré une religion commune, le christianisme.

Les sunnites sont le mouvement majoritaire de la religion musulmane et représentent environ 85 % des musulmans du monde. Même dans les pays à majorité chiite, le gouvernement a longtemps été sunnite, ce qui n’a fait qu’augmenter les rancoeurs entre les deux populations. Il a ainsi fallu attendre la révolution menée par l’ayatollah Khomeini en 1979 pour voir un gouvernement chiite s’installer en Iran, malgré une population à 90 % chiite. C’est sans doute ce qui a poussé Saddam Hussein, dirigeant sunnite d’un Irak à majorité chiite (60 % de la population) et Bahrein (population chiite à 70 %), à tenter d’envahir l’Iran en 1980, afin d’éviter un effet de contagion.

Aujourd’hui, on trouve un gouvernement pro-chiite en Iran, en Irak (où ils ont été les plus actifs dans la reconstruction politique du pays), en Azerbaïdjan, en Syrie et au Liban. La Syrie est un cas particulier. Les populations chiite et alaouite (courant proche du chiisme) y sont minoritaires mais dirigent le pays, soutenues par l’Iran qui a toujours représenté un contrepoids dans la lutte contre la menace irakienne.

Enfin, le Liban compte une minorité chiite dont le poids démographique n’a cessé d’augmenter ces dernières années, ce qui s’est concrétisé par la montée en puissance du Hezbollah et son entrée au gouvernement en 2005. Là aussi, cela a attisé l’opposition avec les sunnites qui, par le pacte national de 1943, sont assurés d'occuper le poste de Premier Ministre.

Ce qu'il faut retenir : au terme d’un schisme dans la religion musulmane, deux courants s’opposent : les chiites et les sunnites. Les deux mouvances sont réunies aujourd’hui autour de l’Arabie Saoudite pour les sunnites et de l’Iran pour les chiites. Le « bloc chiite » compte l’Azerbaïdjan, l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban. Les autres pays sont tous proches de l’Arabie Saoudite.

Un facteur aggravant : les accords Sykes-Picot

En 1916, à l’issue du premier conflit mondial où elles sont alliées, les deux anciennes grandes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne, réfléchissent à la façon de se partager les ruines de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne. C’est à François Georges Picot pour la France et à Mark Sykes pour l’Angleterre que revient la tâche de négocier un partage acceptable et qui assure de ne pas voir les revendications russes sur la région se développer.
Cet accord complique encore un peu plus le conflit historique régional entre chiites et sunnites car ce découpage a été avant tout pensé en fonction de critères économiques et d’une répartition des ressources pétrolières notamment. Certains évoquent aussi le moyen pour les gouvernements européens de s’assurer de la difficulté pour les pays ainsi créés de garder une unité et être sûrs de les garder sous contrôle en se rendant indispensables au maintien de la stabilité politique.

Les appartenances ethniques et l’histoire des peuples n’ont donc absolument pas été prises en compte. C’est ainsi que les Kurdes ont vu leur population partagée entre la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak. Depuis, cette population essaye régulièrement de se soulever pour revendiquer la création d’un état kurde. On a également vu la ville de Mossoul, située sur de grosses réserves de pétrole, être retirée à la Syrie française pour être finalement rattachée à la Mésopotamie britannique (aujourd’hui l’Irak).

Cela a abouti en 2006 à la proposition d’une nouvelle carte du Moyen-Orient présentée par un militaire américain. Au-delà d’une Syrie maintenue, à l’époque, on y voit apparaître un état kurde indépendant et la création de deux états irakiens, l’un chiite et l’autre sunnite. Les lieux saints de l’Islam aujourd’hui situés en Arabie Saoudite (la Mecque et Médine) sont réunis dans un état indépendant.

Ce qu'il faut retenir : au-delà de la problématique chiite-sunnite, les accords Sykes Picot de 1916, en traçant des frontières à la règle et sans tenir compte de l’histoire des peuples, ont créé d’autres foyers de tension aujourd’hui difficilement gérables.

Ce que veulent les Iraniens

Les Iraniens se voient et sont considérés dans la région comme le « grand frère » des populations chiites régionales. Dotés d’une puissante armée, ils interviennent donc régulièrement aux côtés des régimes chiites amis. C’est ainsi que l’on voit actuellement les ennemis d’hier, l’Iran et l’Irak, travailler ensemble. Le gouvernement iranien a en effet proposé à son homologue irakien son aide dans la lutte contre Daesh, en entraînant et en armant ses troupes, mais aussi en lui fournissant missiles et roquettes (lire ici).

L’Iran veut asseoir son rôle au sein de la région et assurer un contrepoids à la puissance sunnite représentée par Ryad. Elle entend ainsi étendre son influence, selon les propos du roi Abdallah de Jordanie en 2004, sur un « croissant chiite » allant de l’Iran au Liban, en passant par l’Irak et la Syrie (lire ici).

En ce sens, la présence de la République islamique à l’ensemble des réunions visant à trouver une solution au conflit syrien (le 30 octobre 2015 à la conférence de Vienne et le 3 mai 2017 à Astana) est une victoire diplomatique majeure (lire ici et ici). Toutefois, ce sont les Russes et les Turcs qui dirigent à présent les débats.

Aujourd’hui, l’Iran est le principal soutien militaire au sol de Bachar Al Assad en Syrie. Au-delà du facteur d’influence que constitue un tel appui, il s’agit pour le pays de protéger sa frontière occidentale (intervention en Irak) et, en Syrie, de conserver une alliance utile avec ce pays pro-chiite, ayant par ailleurs une frontière commune avec Israël, l’ennemi de toujours, et le Liban, patrie de ses alliés du Hezbollah (lire ici).

Depuis la signature d’un accord sur le nucléaire à l’été 2015 et l’accession au pouvoir d’un président modéré, l’Iran tend à vouloir « normaliser » ses relations avec le reste du monde, notamment avec les États-Unis. Depuis la levée des sanctions internationales, le pays essaye ainsi d’attirer les investissements étrangers, ce qui l’a amené à revoir sa diplomatie. Aujourd’hui, le pays veut s’imposer comme un interlocuteur incontournable de la zone, poursuivant des intérêts communs avec les grandes puissances (la contingence et l’élimination de Daesh) et ayant une approche pragmatique en matière d’échanges internationaux.

Ce que veulent les Saoudiens

Les Saoudiens sont la puissance dominante de la région. Gardiens des lieux saints (La Mecque et Médine), l’alliance qu’ils ont passée avec les États-Unis en 1945 lors du pacte du Quincy (lire ici) leur assure la protection des Américains en échange d’un accès garanti au pétrole saoudien, ce qui assoit leur suprématie régionale.

Les Saoudiens souhaitent essentiellement maintenir un statu quo dans la région et ne pas voir leur domination remise en cause. Ils voient ainsi d’un très mauvais œil l’accord passé par les Américains avec les Iraniens à propos du nucléaire de ces derniers, remettant leur adversaire de toujours dans le jeu diplomatique.

La crainte majeure du royaume est de voir la volonté de développement iranienne déstabiliser le pays. C’est sans doute la raison qui les a poussés à intervenir au Yemen où la minorité chiite, soutenue par Téhéran, s’est soulevée contre le pouvoir en place. Même si la raison officielle était la protection du golfe d’Aden et du détroit de Bab El Mandeb bordant le pays et qui sont l’une des principales voies de circulation du pétrole. La crainte de se retrouver encerclés par des forces chiites (au Yemen au sud et en Irak au nord) les a forcés à agir. Le risque que voient les Saoudiens est que leur population chiite minoritaire, située dans la région nord-est, où se trouve l’essentiel des réserves pétrolières, veuille faire sécession pour rejoindre le « croissant chiite ».

Mais la crainte vient aussi de l’intérieur, avec la peur de voir les sunnites d'Al Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA) poursuivre l’action lancée il y a dix ans dans le pays et visant à inspirer une rébellion sunnite contre le pouvoir en place. La signature de l’accord sur le nucléaire iranien a fait craindre aux autorités saoudiennes que les extrémistes du pays sentent celui-ci moins protégé par l’allié américain et les pousse à agir. Même si l’essentiel des attentats perpétrés dans le pays ces derniers mois ont touché des cibles chiites, la condamnation par Daesh du gouvernement en place l’a aussi mené à frapper la police et des sunnites (lire ici).

C’est l’ensemble de ces craintes qui aurait amené le royaume à une « vague » de décapitations début 2016, afin de rappeler à chacun dans le pays le risque encouru par les déstabilisateurs. Plusieurs dizaines de sunnites affiliés à Daesh ont été tués, réaffirmant la fermeté du gouvernement face aux extrémistes, en même temps que plusieurs chiites (dont le chef religieux al-Nimr, ce qui a déclenché la colère de l’Iran), pour rassurer la population quant à son soutien inconditionnel à la doctrine sunnite. Mais cela a déclenché la colère de l’Iran, l’ambassade saoudienne à Téhéran étant attaquée à coups de cocktails molotovs. Au-delà de la condamnation internationale que cela a généré, ce renouveau de tension complique les négociations en cours pour trouver une solution au conflit syrien.

Sur le plan diplomatique, le royaume est peu à peu en train de revoir ses relations avec les grands pays et semble passer d’une vision centrée sur les États-Unis vers une approche multipolaire. C’est ainsi que les autorités saoudiennes se sont rapprochées de la Russie, faisant fi de leurs désaccords sur le conflit syrien. Les deux nations ont même réussi à s’accorder sur une réduction concertée de la production pétrolière, qui a largement été respectée par les deux parties, ce qui est une première. Les Russes essayent ainsi d’apaiser leurs rapports avec le monde sunnite et les Saoudiens actent le rôle désormais incontournable de la Russie dans le règlement des conflits locaux.

Dans le même temps, le royaume opère également un rapprochement avec la Chine. L’Empire du Milieu voyant ses besoins en hydrocarbures sans cesse augmenter, le pays essaye de développer ses relations avec le Moyen-Orient pour sécuriser ses approvisionnements. C’est ainsi que la Chine pourrait être le plus gros investisseur dans le projet d’introduction en bourse de la société pétrolière nationale saoudienne, attendue en début d’année prochaine (lire ici et ici).

Plus globalement, le royaume tente d’étendre son influence à l’est, en investissant massivement dans les pays à forte composante musulmane, comme l’Indonésie ou la Malaisie, où le roi a récemment annoncé un investissement de plusieurs milliards de dollars dans un projet pétrochimique (lire ici).

Reste à voir la manière dont les États-Unis vont considérer ce rapprochement, sans doute en partie initié par crainte d’un désengagement américain après la découverte du pétrole de schiste. Sur cet aspect, la probable signature d’un contrat d’armement de 100 milliards de dollars lors de la visite de Donald Trump en Arabie Saoudite le 19 mai est relativement rassurante (lire ici) et montre que la relation entre les deux pays reste importante. Mais les nombreux désaccords autour du conflit au Yemen et le soutien, a minima moral, à Daesh ont un temps distendu les rapports. Plus récemment, le rapprochement du gouvernement Trump d’un autre grand dirigeant sunnite de la zone, l’Égypte, a beaucoup irrité les Saoudiens (lire ici). Le Général Sissi ne cache en effet pas son soutien au régime de Bachar Al Assad, alors que le recteur de l’université Al Azahr a ouvertement critiqué (sans le nommer) le salafisme et le wahhabisme lors d’une conférence (lire ici).

  • Pour aller plus loin : lire ici

Le rôle de la Turquie et la question kurde

La Turquie est un État charnière, aux portes de l’Europe et du Moyen-Orient. Bien que membre de l’OTAN et allié des États-Unis, la Turquie a néanmoins ses propres intérêts dans la région. La question kurde est au centre de cette problématique.

Rappelons que la population kurde a été divisée entre 4 pays (Iran, Irak, Syrie et Turquie) à l’issue des accords Sykes-Picot. Les Kurdes turcs, réunis au sein du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) revendiquent l’indépendance et l’autodétermination des régions à majorité kurde de l’est de la Turquie, ce qui en fait l’ennemi juré du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.
C’est ce qui explique notamment l’attitude turque dans le conflit syrien. La Turquie craint la constitution d’un kurdistan syrien (le Rojava, qui serait dirigé par une émanation locale du PKK) et que Bachar Al Assad a volontairement laissé se développer à partir de 2012 afin de créer des divisions dans l’opposition à son gouvernement. La rébellion syrienne non kurde est en effet farouchement opposée aux revendications d’autonomie des Kurdes du nord du pays.
Cette hypothèse étant inconcevable pour Recep Tayyip Erdogan, celui-ci a défini un corridor qui divise le territoire kurde syrien en deux et empêche la jonction des deux communautés kurdes du nord du pays (lire ici et ici). À ce titre, la Turquie a soutenu les rebelles non kurdes dans leur combat contre Daesh sur les territoires de ce corridor qui auraient permis cette jonction.

À l’opposé, la Turquie a une attitude très pragmatique avec les Kurdes d’Irak. Pays sans ressource en hydrocarbures, la Turquie a de gros besoin en gaz et en pétrole qu’elle satisfait en partie grâce au seul pipeline autonome provenant du Kurdistan irakien. La région est ainsi devenue le troisième exportateur de pétrole en Turquie.

C’est la même raison qui régit les rapports de la Turquie avec l’Iran. Bien que les deux pays cherchent à augmenter leur zone d’influence dans la région, ils trouvent des intérêts économiques communs. Ainsi, les relations entre les deux pays n’obéissant pas à l’embargo décrété par Washington, l’Iran est devenu un partenaire commercial important de la Turquie, notamment en matière énergétique.

C’est aussi ce qui a favorisé le rapprochement avec la Russie. Les deux tiers du gaz utilisé par la Turquie proviennent de Russie. Cette dépendance est sans doute aussi à l’origine du rapprochement récent opéré par Ankara vers l’Organisation de Shanghai (OCS), sorte d’anti-OTAN créée par la Russie et la Chine dans les années 2000.


Ce qu'il faut retenir : la Turquie est devenue un acteur majeur de la région. Véritable point d’accès pour les Européens aux ressources pétrolières du Moyen-Orient, elle se sert de sa position géographique pour reprendre un rôle diplomatique important dans la région. Pragmatique, elle modifie ses positions politiques en fonction de ses intérêts, que ce soit avec les Kurdes ou avec l’OTAN, la Russie et la Chine. Le pays semble néanmoins de plus en plus se tourner vers le continent asiatique

Ce que veulent les Américains et les Anglais

Pour bien comprendre les aspirations de l’administration américaine au Moyen-Orient, un graphique suffit : celui de la consommation américaine de pétrole, en fonction de sa provenance. Malgré la forte augmentation de sa production ces 5 dernières années, les États-Unis sont toujours largement dépendants de leurs importations pétrolières pour leur approvisionnement énergétique. Même en net, les États-Unis dépendent toujours du pétrole importé pour près de 25 % de leur consommation.

Cette dépendance énergétique a très tôt mené le gouvernement américain à opter pour une politique extrêmement interventionniste. Celle-ci répond à un double objectif : empêcher le développement de l’influence russe dans la zone et lutter contre les velléités d’indépendance des pays de la zone. C’est la raison qui a poussé les Américains à organiser le coup d’État contre Mohamed Mossadegh en Iran en 1953 et à fomenter un attentat contre le Général Kassem en Irak dans les années 1960 (qui n'a finalement pas abouti, en raison d’un coup d’État local qui a destitué ce dernier).

Suite deauxs attentats du 11 septembre, les Américains ont ainsi usé du prétexte d’un soi-disant « axe du mal » entre Saddam Hussein en Irak et Oussama Ben Laden en Afghanistan, pour justifier d’une intervention dans ces deux pays. Le spectre d’un stock d’armes de destruction massive a même été agité devant les représentants de l’ONU par le Général Colin Powell, qui a ensuite avoué le considérer comme « une tache » dans sa carrière . Si l’administration Bush n’a jamais reconnu le rôle joué par le pétrole dans ses plans militaires, Paul Wolfowitz, ancien secrétaire adjoint à la défense, a tout de même déclaré : « La plus grosse différence entre la Corée du Nord et l’Irak (…) : l’Irak nage dans le pétrole ! ». Tandis qu’Alan Greenspan, alors gouverneur de la réserve fédérale américaine a indiqué être « attristé qu’il soit politiquement inconvenant de reconnaître ce que tout le monde sait : la guerre d’Irak est largement une histoire de pétrole ».

Les Anglais sont dans le même état d’esprit et des documents rendus publics en 2011 révèlent que les autorités britanniques et BP étaient « prêts à tout » pour accéder au pétrole irakien.

Devant l’absence de découverte d’armes de destruction massive, il est devenu de plus en plus difficile pour le gouvernement de justifier un maintien des troupes au sol en Irak. Les sunnites fidèles à Saddam Hussein ainsi que ceux constituant les rangs des djihadistes d’Al Qaïda en Irak s’opposant violemment à la coalition emmenée par les USA, ont créé l’Etat Islamique d’Irak en 2006. C’est la naissance du désormais tristement célèbre Daesh.

Le conflit a ensuite dégénéré en conflit confessionnel entre sunnites et chiites, se terminant par la prise de pouvoir par les chiites sous le commandement de Nouri al Maliki qui a formé un gouvernement.

Les États-Unis en ont profité pour se retirer à compter de 2009, alors que la situation n’était absolument pas stabilisée. En plus des velléités de l'État islamique qui se développait en profitant du mécontentement généré par le sectarisme de l’État chiite vis-à-vis des sunnites, les Kurdes situés au nord de l’Irak ont établi un gouvernement régional du Kurdistan autonome en 2005 et rêvent de créer leur propre État.

Aujourd’hui, avec l’arrivée de Donald Trump, les cartes sont rebattues. Alors qu’il pouvait sembler que le président américain souhaitait être porteur de paix pour la région, avec une volonté affichée de faire aboutir le processus de paix dans la région, l’intervention en Syrie il y a quelques semaines et le discours prononcé le 20 mai depuis Riyad marquent un profond revirement. Donald Trump a choisi son camp et pointe l'Iran du doigt comme responsable de l’instabilité de la zone, faisant de la lutte contre ce pays une « cause commune » pour les pays arabes et Israël.

Si la lutte contre Daesh reste une priorité, le terrorisme n’est encore une fois mentionné que pour pointer l'Iran du doigt, qui « finance, arme et entraîne des terroristes (…) qui répandent la destruction et le chaos à travers la région ». Oubliés donc, les liens entre les régimes sunnites de la région, notamment l’Arabie Saoudite, et le financement du terrorisme.

Une telle position mène à être très pessimiste sur la possibilité d’une stabilisation de la zone ces quatre prochaines années du mandat de Donald Trump.

Ce qu'il faut retenir : sous couvert de motifs humanitaires, les États-Unis et le Royaume-Uni sont venus en Irak et au Moyen-Orient défendre leurs intérêts économiques. Ils en sont repartis après un cuisant échec, laissant une situation à bien des égards aussi mauvaise que celle qu’ils avaient trouvée. Leur intervention a en outre cristallisé la haine des « impérialistes colonialistes » ayant mené à la création de Daesh.

Ce que veulent les Russes et les Européens : la guerre de Syrie

Les Russes ont une attitude très claire dans la région : elle consiste à défendre leurs intérêts. Cela explique pourquoi Vladimir Poutine est resté à l’écart du conflit irakien, alors qu’il s’est immédiatement impliqué dans le conflit syrien.

Là encore, il faut remonter au-delà des causes officielles du conflit, à savoir déposer un gouvernement dictatorial qui oppresse et martyrise son peuple. Rappelons tout de même que Bachar Al Assad a reçu la légion d’honneur en France en 2001 ! En réalité, en Syrie aussi, ce sont les ressources énergétiques qui sont au centre des raisons du conflit. Plus précisément, le gaz du champ géant de South Pars, plus grand champ de gaz au monde, situé au milieu du Golfe Persique, et dont les droits d’exploitation sont répartis entre le Qatar et l’Iran. Ces deux pays exploitent donc ce champ chacun de son côté et cherchent un moyen d’exporter leur gaz sur le marché international.

C’est là que la Syrie joue un rôle central. Car pour rejoindre le marché international du gaz, l’Iran et le Qatar ont tous deux un projet de pipeline qui passe, à un moment donné, sur le territoire syrien, mais avec des ambitions stratégiques totalement différentes. Le pipeline qatari prévoit ainsi de se connecter au projet de gazoduc Nabucco, ouvrage pensé par les Européens pour alimenter leur marché en énergie en s’affranchissant du gaz russe.

De son côté, l’Iran et la Russie envisagent plutôt un projet de pipeline partant de Syrie pour se raccorder au gazoduc South Stream, projet de pipeline russe.
Après avoir dit oui au Qatar en échange d’un accord de défense de ce dernier, Bachar Al Assad a fini par dire non pour protéger les intérêts de ses alliés historiques russes et iraniens. Furieux de ce revirement, le Qatar a décidé de financer les rebelles syriens afin de faire tomber le régime. Les Américains et les Européens sont eux aussi venus en aide à ces rebelles sunnites dits modérés.

De leur côté, les Russes ont décidé de soutenir leur allié au pouvoir. Le pays est en effet un allié stratégique de la Russie dans cette zone, puisqu’il l’a autorisée à établir un port militaire sur la Méditerranée, dans la ville de Tartous. Celui-ci constitue, avec le port dont la Russie dispose à Sébastopol, en Crimée, l’un des deux points d’accès aux mers chaudes de la Russie.
Lorsque la situation dégénère et qu’une partie des rebelles financés rejoint les rangs de Daesh, retournant contre les Occidentaux leurs propres armes, la situation est devenue difficile pour les Américains et les Européens. C’est ce qui a valu à l’Iran et à la Russie d’être parties prenantes dans les négociations de Vienne déjà évoquées plus haut, aucune solution ne pouvant émerger sans un accord des deux parties opposées, alors que le revers subi par les gouvernements occidentaux leur impose de trouver une solution. Aujourd’hui, les Russes sont devenus incontournables dans les pourparlers de paix dans la région.

Ainsi, même les Qataris, soutiens du premier jour des Frères musulmans et des wahhabites en Syrie, ont opéré un rapprochement avec les Russes. La concrétisation de ce réchauffement a été d'abord l’annonce d’un accord militaire entre les deux pays, puis par l’entrée du pays au capital de Rosneft, l’une des principales compagnies pétrolières russes, à hauteur de 19,5 %. Il semble que l’émirat ait compris que désormais, pour vendre son gaz à l’Europe, il ne pourrait se passer des Russes. Le problème étant qu’à présent, pour l’Europe et les États-Unis, cette nouvelle alliance (Iran, Russie et Qatar) détient 50 % des réserves mondiales de gaz. L’Europe, dont la dépendance énergétique aux importations ne devrait cesser d’augmenter, se retrouve dépendante de cette alliance.

Ce que veut Daesh, l’État islamique en Irak et au Levant

Daesh (aussi appelé État Islamique) est une organisation sunnite née pendant le conflit irakien et qui s'est développée dans ce pays puis en Syrie après le début de la guerre civile dans ce pays en 2011. Son but est de reconstituer le califat des Abbassides, véritable État indépendant de l’influence des anciennes nations colonisatrices et des États-Unis, régi par les règles les plus strictes de l’Islam et qui s’étendrait de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale. Le chef de l’organisation est Abou Bakr al Baghdadi, auto-proclamé calife en juin 2014. Daesh est un mouvement sunnite salafiste, particulièrement hostile aux chiites, ce qui explique que l’Iran soit aujourd’hui en première ligne pour le combattre.

Contrôlant une partie des ressources pétrolières du nord de l’Irak et en Syrie, et des territoires agricoles, Daesh dispose aujourd’hui de ressources financières importantes. Elles sont estimées à plusieurs millions de dollars par jour (lire ici). L’organisation mène une stratégie de la terreur, recourant à des enlèvements et à des exécutions dans les pays où elle est présente (lire ici) et à l’étranger avec des attentats revendiqués en Europe, aux États-Unis, en Indonésie, au Moyen-Orient etc. Le problème est que l’armée compte dans ses rangs d’anciennes forces irakiennes bien formées et des soldats prêts à mourir pour leur cause et extrêmement bien armés. L’alliance occidentale, désormais alliée aux Russes et aux Iraniens, essaye de reprendre le contrôle mais bien tard, les alliés ayant mis du temps à comprendre le danger que représentait Daesh, beaucoup mieux structurée qu’Al Qaïda et disposant de financements importants. En 2014, Barack Obama lui-même ironisait encore et décrivait Daesh comme un partenaire plus faible d’Al Qaïda. « Si une équipe de basketteurs juniors enfile des maillots de NBA, ça ne fait pas d’eux Kobe Bryant », déclarait-il.

Où en est-on ?

L’opposition séculaire entre sunnites et chiites, matérialisée aujourd’hui par l’opposition Arabie Saoudite/Iran, façonne le paysage et détermine les conflits de la zone moyen-orientale. Que ce soit au Yémen, en Syrie, en Irak, si les causes de ces conflits ne sont pas toujours religieuses, on y revient systématiquement d’une façon ou d’une autre dans la définition des lignes de front. Cela complique aujourd’hui notoirement la résolution des conflits en cours et rend peu probable une solution rapide au problème posé par Daesh.

À cela s’ajoute la question des cours du pétrole. En mettant les budgets des gouvernements arabes sous pression, ce mouvement est potentiellement annonciateur de nouveaux soulèvements populaires qui signifieraient de nouvelles déstabilisations.

Le pétrole a fait et continuera de faire le bonheur et le malheur de cette zone géographique. Source de revenus ayant permis un développement économique important de cette partie du monde, la dépendance occidentale à l’or noir en fait aussi une zone d’influence stratégique. Certains ont évoqué un possible retrait des Américains de la zone avec l’avènement des pétroles de schiste, mais celui-ci reste très improbable. D’abord parce que les États-Unis restent, contrairement à une idée reçue, très dépendants en matière énergétique. Ensuite parce que le Moyen-Orient est la zone géographique sur laquelle devra compter le monde pour répondre aux besoins d’énergies fossiles futurs. Ainsi, selon BP, l’OPEP représentera près de la moitié de la croissance de l’offre de pétrole d’ici 2035.

Conclusion

En à peine un an, la situation s’est extrêmement compliquée au Moyen-Orient. L’apparition de nouveaux intervenants (comme la Turquie) rend en effet les situations beaucoup moins tranchées. Membre de l'OTAN et allié des États-Unis, le pays est aujourd’hui aussi très proche de la Russie.

Cela peut être lié à la multiplication des pays plaidant pour l’émergence d’un monde multipolaire. Chine, Russie, Iran ou encore Turquie apparaissent ainsi de plus en plus comme des pays à « diplomatie variable », faisant fi des lignes dogmatiques traditionnelles pour opérer avec davantage de pragmatisme.

C’est sans doute ce qui explique la clarification des États-Unis avec le discours de Donald Trump à Riyad au début du mois. Les États-Unis eux, restent sur une ligne dure, dogmatique, visant à isoler la Russie et ses partenaires, pour conserver la main-mise sur la périphérie de l’Eurasie, zone qui dans la théorie américaine du « containment » est indispensable au contrôle hégémonique du monde. Le terrorisme est, dans cette image globale, un élément traité à part, ce qui complique encore la grille de lecture.
Le dernier virage diplomatique pris par les États-Unis devrait néanmoins avoir pour mérite d’obliger chacun à prendre une position plus claire et recréer deux camps bien nets. Pas forcément une bonne nouvelle pour la stabilité dans la région.

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