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14 / 04 / 2017 | 3 vues
David Pesme / Membre
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30 ans de CHSCT dans les collectivités territoriales : réduire ce qui fragmente, augmenter ce qui rassemble ?

À partir d’un article de Fabrice Allegoet* qui s’interroge sur les limites de l’action des délégués du personnel, nous tentons ici une transposition de ce questionnement sur le fonctionnement et l’action des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notamment à travers notre expérience dans la fonction publique territoriale.

Cet article est un point de vue, forcément subjectif et partiel mais fondé sur une quinzaine d’années de formation et d’accompagnement de 450 CHSCT dans des collectivités territoriales de 150 à 12 000 agents. L’objectif n’est pas de poser un constat indiscutable ou de réaliser un état des lieux objectif et complet mais d’ouvrir un débat, un espace de discussion à partir de l’analyse de notre pratique de terrain.

Le CHSCT, dans le viseur d’une incapacité structurelle à fonctionner ?

Disons-le d’entrée de jeu, le CHSCT, instance présentée comme un des lieux du dialogue social incontournable des organisations, où se construiraient des améliorations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, nous semble avoir été conçu de telle manière qu’il ne puisse structurellement pas fonctionner (ou si peu).

Le CHS existe depuis 1985 dans les collectivités. Même s’il a connu des évolutions depuis cette date, passant notamment de CHS à CHSC en 2015, le bilan de trente années de CHSCT nous semble bien mince, voire décevant.

Le CHSCT actuel se retrouve dans l’incapacité de jouer son rôle bien au-delà des gens qui le composent qui, souvent baissent les bras et se désengagent progressivement devant l’absence de résultats perceptibles. 

Nous nous proposons de balayer quelques éléments entravant le CHSCT dans sa capacité à être un lieu de débats, de négociations et de décisions sur la santé sécurité au travail dans une organisation donnée, avant de poser la question de l’évolution de la formation de ses membres.

Des représentants du personnel et de l‘employeur, empêchés dans leur capacité à représenter

Le mode de désignation des membres du CHSCT, tant ceux représentant le personnel que ceux représentant l’employeur, ne facilite pas l’efficacité de l’action collective du CHSCT.

Les représentants du personnel sont choisis sur une liste présentée par une organisation syndicale au premier tour des élections professionnelles. De fait, ils se positionnent quasiment toujours comme membre d’une organisation syndicale et non comme représentant du personnel, c’est-à-dire, de l’ensemble de la communauté des travailleurs et des encadrants.

À titre d’illustration, les procès-verbaux des réunions mentionnent toujours scrupuleusement l’organisation syndicale d’appartenance de chacun des représentants du personnel, comme pour rappeler à tous qu’il s’exprime en tant que représentant de telle ou de telle organisation syndicale et non au nom du personnel. Il est vrai que le peu d’heures dont il dispose pour la préparation des travaux et leur compte-rendu, la variété et la complexité des sujets traités, nécessitent un appui logistique évident qu’ils cherchent généralement auprès de leurs syndicats.

Par ailleurs, bien souvent, le CHSCT attire moins les « premiers couteaux » que le comité technique, instance jugée plus prestigieuse ou plus valorisante. Le CHSCT devra se contenter des « seconds couteaux », moins influents au sein de leur organisation syndicale, ayant donc moins de capacité à négocier des marges de manœuvre vis-à-vis de leur organisation syndicale.

Tout ceci peut entraver l’action des représentants du personnel. Ils ne travaillent que très rarement à la recherche d’un accord pour définir collectivement des buts communs et des priorités et formuler ensuite des propositions partagées. Quand cette volonté de coopérer au-delà des organisations habite certains membres, les logiques « d’appareil » prennent le dessus. Les responsables des organisations syndicales, même non membres du CHSCT, canalisent « leurs » membres et les ramènent à la raison, en tout cas, à « leur » raison.

Parfois même, les rivalités entre les syndicats amènent les représentants du personnel à se mettre en concurrence les uns par rapport aux autres, y compris en réunion plénière, devant les représentants de l’employeur. De fait, les demandes et propositions qu’ils formulent sont rarement soutenues par l’ensemble des autres représentants, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes.

De leur côté, les représentants de l’employeur ne sont pas plus efficaces

En effet, dans la quasi-totalité des CHSCT, l’employeur n’a pas préalablement défini de position sur les sujets de fond qui sont portés à l’ordre du jour de la réunion du CHSCT. Ainsi, les représentants de l’employeur ne connaissent souvent ni la position, ni leurs propres marges de manœuvre dans le cadre d’une discussion / négociation. De fait, ils sont réduits à un rôle de figurants ne prenant pas ou peu part au débat.

L’on pourrait en déduire que le CHSCT serait un « théâtre », où les échanges sont déterminés non par le fond des sujets mais par les rapports existants entre les participants (en général des rapports de force et de pouvoir).

Une vision théorique et éloignée des réalités du terrain

Dans la suite logique de ce qui vient d’être exposé, la vie des CHSCT se résume la plupart du temps aux fameuses « réunions trimestrielles du CHSCT » : une salle, des membres, un ordre du jour et des documents avec du texte. Une durée de réunion allant de 45 minutes pour certaines à plus de 5 h pour d’autres. Des ordres du jour surchargés qui ne permettent pas d’aborder correctement les questions à traiter, les analyses à réaliser. Et, entre deux réunions, rien, pas de dynamique de travail.

Les discussions sur le travail se déroulent dans une salle, loin des lieux du travail. Peu d’observations sont réalisées et quand elles le sont, c’est par la voix des seuls représentants du personnel. Dans ces conditions, la mise en débat sur le travail réel devient difficile, voire impossible.

Par ailleurs, les discussions sont souvent dogmatiques, tant de la part des représentants des travailleurs que de ceux de l’employeur. Elles ne se fondent pas sur des argumentations réelles, concrètes, factuelles, étayées et consolidées mais sur des représentations, des jugements de valeur ou bien encore des postures qui immobilisent.  Bref, ce sont des opinions qui portent sur des éléments ponctuels qui ne sont pas forcément représentatifs et souvent bien éloignés d’un réel complexe.

Sans photos, sans vidéos, sans travail d’observation, sans entretiens avec des travailleurs ou des encadrants, sans groupes de travail et avec peu d’analyse, tout devient superficiel.

Un niveau de compétence technique et « projet » faible

Les sujets sur lesquels le CHSCT doit agir (la sécurité, la santé des travailleurs, encadrants ou pas) sont complexes car multifactoriels, multi-acteurs, à effets immédiats ou différés. Le compromis entre les performances exigées et la santé et la sécurité au travail est difficile à construire. Il nécessite de construire des démarches complexes, qui s’inscrivent dans une certaine durée et mobilisant de nombreux acteurs internes.

Généralement, seuls les représentants du personnel bénéficient d’une formation qui se limite, la plupart du temps, au minimum légal, c’est-à-dire une formation initiale de 5 jours pour un mandat qui dure 4 ans ! La formation continue, tout au long du mandat, qui permettrait un minimum de professionnalisation des membres, est quasiment inexistante.

Par ailleurs, le fait que ces formations n’offrent aucun espace commun entre les représentants des employeurs et les représentants du personnel ne permet pas d’entendre les mêmes choses pour les mettre ensuite en discussion dans une construction collective. Il apparaît donc que ces temps de formation consolident davantage les rigidités posturales que les raisonnements communs nécessaires à l’amélioration de la santé, la sécurité et les conditions de travail du personnel concerné.

En second lieu, les principaux contenus observés portent exagérément sur les aspects juridiques ou sur les connaissances théoriques, techniques portant sur les dangers, les risques etc. Or, il est important de développer les techniques d’observation du travail réel, la réalisation d’un entretien, d’une visite dans un service, d’une enquête, de savoir analyser les causes profondes d’un accident et aussi de participer à la construction d’une démarche de prévention.

Il est tout aussi fondamental de développer des compétences-socles : se mettre d’accord sur des priorités, savoir communiquer, négocier, construire un argumentaire. En quelques mots, être capable de construire collectivement avec des gens ayant des points de vue différents du mien.

Ainsi, ces formations initiales ne poussent pas les membres à réfléchir ensemble aux conditions à créer pour que leur instance devienne le lieu de débat nécessaire à la prise de décisions. Quelle posture pour le CHSCT ? Comment construire des décisions collectives ? Comment construire des démarches sur la durée du mandat ? Comment évaluer les résultats  obtenus de leur action à l’issue du mandat ? Que transmettre aux prochains membres du CHSCT à l’issue du mandat ? Comment s’appuyer sur ce qui a été construit par le précédent CHSCT ? Bref, comment développer les capacités à agir de leur instance sur la durée de leur mandat, lui-même s’inscrivant avant et après un autre mandat.

Enfin, la formation n’étant pas prévue tout au long du mandat pour accompagner la montée en compétence en situation réelle du CHSCT, ses membres se débrouillent comme ils peuvent avec les projets auxquels ils sont plus ou moins associés ou sur lesquels ils doivent statuer bien souvent sans détenir les compétences requises pour formuler des avis éclairés.

Une incapacité à construire des projets dans la durée, à s’appuyer sur l’action passée du CHSCT et sur son futur

Le corollaire des points précédents est une incapacité à construire un projet ou une démarche qui s’inscrive dans le temps, sur la durée de leur mandat et qui produisent des résultats eux-mêmes suivis. L’action des membres du CHSCT est généralement une action ponctuelle, le temps d’une discussion, le temps d’une réunion, sans avant, sans après. Chaque réunion amenant son lot de demandes ou de problèmes nouveaux, sans revenir le plus souvent sur les précédentes actions en cours. Il convient de ne pas oublier que les CHSCT sont trop souvent placés dans une position curative car ils ne sont pas saisis en amont lors des phases de conception et d’organisation.

Trop souvent, la nature des sujets évoqués porte sur des sujets « passés », là où le mal est déjà fait. Le CHSCT, agissant dans un cadre curatif, cherche plus à établir des constats (accidents, service en difficulté, plaintes, écarts constatés et avérés avec un texte de loi etc.) qu’à prévenir des dangers par l’analyse des risques.

Il lui est encore plus difficile de réfléchir sur des problématiques à venir. Par exemple sur l'effet d’un projet de réorganisation, la construction d’un nouveau bâtiment, la création d’une nouvelle fonction, une évolution importante d’un métier. Il faut noter que, trop souvent, les employeurs ne souhaitent pas que les représentants du personnel s’immiscent dans la conception des nouvelles organisations et projets.

Ce qui est conforté par le fait que l’action du CHSCT est pensée et mise en œuvre comme une approche « cloisonnée », une instance où l'on ne traiterait que des questions de sécurité ou de santé au travail mais sans aborder la question du travail et de son organisation, réservée elle aux discussions en comités techniques. La question de la collaboration et de l’articulation entre l’action des deux instances n’étant quasiment jamais abordée, ce qui limite considérablement la raison d’être de ces deux instances, dans une fonction publique dans lesquelles les organisations sont depuis plusieurs années en très forte évolution.

Or, la nature de la prévention consiste bien à agir sur des problèmes ou des risques qui n’ont pas encore produit d’effet, sans quoi l'on parlera de protection (c’est-à-dire de seule limitation des dommages).

Les problèmes auxquels les organisations de travail sont confrontées sont des problèmes complexes (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, qualité de vie au travail, usure professionnelle et vieillissement au travail) pour lesquels il n’existe aucune solution technique ou juridique simple. Bref, « des problèmes sans solutions connues ». D’où l’intérêt de recourir à des compromis sociaux et techniques à construire entre l’ensemble des parties prenantes de la structure.

Cet état des lieux est-il sans appel ? Les CHSCT sont-ils condamnés à rester peu utiles ? Les formations des membres du CHSCT sont-elles condamnées à ne développer que peu de compétences et de « capacités à agir » sur le réel ? Nous ne le pensons pas. Plutôt que de continuer simplement à prolonger ce que est réalisé depuis 30 ans, de se dire que si cela n’apporte pas les résultats attendus, c’est de la faute aux décideurs, aux membres, aux changements trop rapides etc., nous pensons qu’il est peut être temps d’aborder ces questions de formation d’une manière différente.

Aborder autrement les formations des membres du CHSCT ?

Finalement, pour s’écarter des formations qui portent essentiellement sur « le rôle et les moyens d’action du CHSCT », en présentant aux membres des textes auxquels ils ont accès par internet en trois clics, des textes qu’ils connaissent souvent déjà et dont ils n’ont pas tiré ce qu’ils souhaitaient, il convient de considérer que ces formations visent à développer la capacité à agir du CHSCT et de ses membres. Dans ce cas, la problématique de formation devient toute autre.

Il s’agit ni plus ni moins d’amener les membres du CHSCT n’ayant pas d’objectif partagé, ou ayant des objectifs divergents à apprendre à construire des accords et des compromis, à suivre la transcription de leurs « décisions » dans le réel et à suivre les résultats obtenus dans le temps pour en re-discuter ensuite.

Construire des démarches de santé sécurité dans un environnement de travail en évolution importante nécessite de développer des compétences transverses ou exécutives du type :
  • traiter et analyser des données qui composent les situations de travail,
  • construire des synthèses,
  • mobiliser des acteurs ayant des points de vue différents (direction, représentants du personnel, encadrants…),
  • apprendre à coopérer,
  • négocier et construire des accords,
  • agir dans la durée,
  • accepter les écarts entre les résultats visés et ceux obtenus, sans se mentir, avec humilité, et savoir adapter/corriger son action.

En clair, il faut repenser l’action de formation des CHSCT en se concentrant sur ses objectifs stratégiques et opérationnels qui restent la santé et la sécurité des agents et l’amélioration des conditions de travail.

La pédagogie pour adultes (« andragogie ») sait construire des dispositifs pédagogiques permettant de développer des compétences exécutives de ce type. Plusieurs secteurs d’activités ont développé au fil du temps des dispositifs pédagogiques permettant à des adultes d’agir en situation (aéronautique, militaires, pompiers, médecine…). Il est temps de faire évoluer nos objectifs et nos méthodes de travail en formation.

En résumé, pour que le CHSCT puisse développer son pouvoir d’agir, il faut repenser les relations entre les différents acteurs pour lui donner une force collective agissant pour la santé, la sécurité et les conditions de travail du personnel.

Réduire ce qui fragmente et augmenter ce qui rassemble devrait être l’ambition de la nouvelle formation de ses membres. Alors, on s’y met ?

* Fabrice Allegoet, 16 décembre 2014, « Ne faudrait-il pas professionnaliser les élus C.E et D.P, considérés comme les hydres de l’employeur et les super-héros des salariés ? ».

 

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