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03 / 12 / 2012 | 47 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Inégalités sociales, déséquilibres naturels : ce que la « fin du monde » des Mayas nous enseigne

La fin de l’année 2012 arrive et, avec elle, remonte à la surface le cortège des prédictions  catastrophiques sur la fin du monde ou encore sur l’arrivée d’un « nouvel âge de  la transformation». Saisissantes interprétations de diseurs de bonne aventure qui se disent inspirés le calendrier des Mayas et qui animent les cours d’école.  

Les Mayas ont élaboré sept prophéties, pas toujours comprises d’ailleurs en raison de la complexité de leur calendrier le plus souvent mal interprétés. Leur première prophétie annonce « la fin de notre monde » pour le 21 décembre 2012. Que l’on ne panique pas ! Il ne s’agirait pas chez les Mayas d’une réelle fin du monde mais du simple achèvement d’une ère dans notre humanité. Les Mayas ont découpé leur message inscrit sur la pierre en deux partie : l'une consacrée à l’alerte et l’autre à l’espoir. Selon l'interprétation de leur calendrier, la fin de l’année verrait l’humanité ouvrir une nouvelle période de développement, en redécouvrant une harmonie à ce jour perdue avec la nature.

Notons en passant que les Mayas n’ont pas su prédire leur propre extinction, ce qui pour le sceptique peut constituer un premier avertissement (si ce n’est un enseignement).

  • Aussi, au-delà de l’interprétation de ces mythes, l’anthropologie nous recentre sur un vaste champ de réflexion en ce qui concerne plus spécifiquement la chute de cette civilisation survenue vers 850 après Jésus-Christ.  

Ce qui a permis l’extraordinaire succès des Mayas, ce sont leurs techniques agricoles. Les Mayas collectaient la boue des marécages pour constituer d’immense cultures en terrasse.
Pour mieux comprendre, le voyageur du temps pourra se référer en cela à un voyage dans l’espace. Comme aurait dit Levi-Strauss, «  l’éventail du temps » qui inspire l’historien peut être complété par « l’éventail des contrées » qui mobilise l’anthropologue. Les rizières en terrasses irriguées des hauts plateaux de Madagascar permettent ainsi d’appréhender ce que devait être le système agricole des Mayas, lesquels savaient utiliser la même terre sans l’épuiser. Cette abondance agricole a permis la forte croissance de la population.  

De même, pour saisir la richesse de la civilisation maya, il suffit de comparer la pyramide «  La Danta » qui se trouve à El Mirador, a l’extrême nord du Guatemala et à quelques kilomètres du Mexique, avec celles d’Égypte. El Mirador fut une cité maya florissante de l’ère pré-classique, jusqu'à environ 150 ans après Jésus-Christ. Date à laquelle la population a soudainement quitté la région. La ville a ainsi compté jusqu'à 80 000 habitants. Ce qui permet de la considérer comme la première grande ville d'Amérique Centrale et du Nord. La pyramide de « La Danta » est énorme. Le volume de celle-ci est estimé à 2 800 000 mètres cubes soit 200 000 mètres cubes de plus que la grande pyramide de Kheops à Guizeh, en Égypte. Rappelons que cette dernière, la plus grande d’Égypte, a nécessité 6 millions de tonnes de pierres pour sa construction.

  • L’écroulement de la civilisation maya est survenu dans des délais très courts environ deux ou trois générations.

Beaucoup d’arguments ont été avancées pour tenter d’expliquer cette évolution sinistre. Certains évoquent  des questions d’ordre médical : épidémies fulgurantes. Ou géologiques : tremblements de terres répétitifs, sécheresses en cascade. Ou encore d’ordre social : invasions barbares, remise en question du statut des rois, récurrence des guerres entre les principales cités-États… L’explication la plus crédible a été apportée par la réalisation de carottes sédimentaires dans le sol guatémaltèque. Ces dernières ont mis à jour qu’entre 760 et 910 après Jésus-Christ, à l ère post-classique, quatre grandes périodes de sécheresse de 3 à 9 ans chacune ont détruit le système agricole florissant et emporté le système social en déstabilisant les élites en place.

  • Ces périodes de grande sécheresse ont été le résultat d’une déforestation massive perpétrée par l’homme, en raison du système social.

 

« C’est la richesse qui procure les honneurs », écrivait Ovide. En ces temps reculés, les dignitaires mayas, pour montrer leurs différences, construisaient des maisons dont la  maçonnerie était recouverte de stuc. Le stuc est un enduit à base de chaux, de marbre blanc et de craie. À l’époque, les parements de stuc étaint les signes ostentatoires de la richesse et du pouvoir de la classe dirigeante maya.

  • La production de stuc nécessite un long chauffage du calcaire, coûteux en bois. Les coupes  massives d’arbres qui s’en sont ensuivies ont occasionné de lourds dommages à l‘environnement de la région.  

Il est à noter que les Mayas n’ont pas tenu compte des alertes que leur donnait la nature. La déforestation et la sécheresse ont en effet commencé très tôt à l’ère préclassique, vers 150 ans après Jésus-Christ, ce qui explique sans doute l’exil soudain, mentionné plus haut des habitants d’El Mirador.

Les dommages irréversibles causés à l’environnement ont donc conduit 8 siècles plus tard à  des glissements de terrain et à une épouvantable sécheresse dévastatrice qui a emporté leur civilisation.

  • Les inégalités sociales, l’absence de retenue et de lucidité de la classe dirigeante ont donc débouché sur une crise systémique gravissime.

Mauvaise répartition des richesses

Robert Reich, professeur à l’université de Berkeley et ancien ministre de Bill Clinton, expliquait en 2010 aux rencontres économiques d’Aix-en-Provence, ce qu'il pense être les racines des maux de l’économie mondiale. Les inégalités sociales s’aggravent dans les pays occidentaux et émergents. Ainsi, aux États-Unis, 1 % des plus riches s’approprient 23 % du revenu national. Il y a 30 ans, les 1 % n'en disposaient que de 9 %.

Cette mauvaise répartition des richesses conduit à une faiblesse de la consommation des classes moyennes et populaires, dont les salaires sont bridés. La mauvaise régulation économique conduit à une rupture des équilibres dans l’écosystème.

  • Prenons un exemple : Madagascar, pays autrefois très riche, bénéficiait il y a 80 ans d’une foret recouvrant tout le territoire et d’une bonne agriculture. Mais la déforestation a sévi et 90 % de la forêt primaire a disparu. Les paysans pauvres en ont été réduits pour survivre à brûler des pans entiers de la forêt pour développer la culture sur brulis. Aujourd’hui, dans ce sanctuaire botanique, jardin à nul autre pareil, la sécheresse  (combinée à la rapacité de ses élites) a conduit le peuple de la grande île rouge de l’Océan Indien à une misère épouvantable. Le pays est devenu l’un des plus pauvres au monde ; seule une petite élite de 5 % se gorge des aides et des échanges obtenus de l’extérieur. Un lecteur un brin égoïste pourrait se dire : « Mais qui se préoccupe de Madagascar aujourd’hui ? Qu’avons-nous à faire avec ces peuples ? » Cet égoïsme serait mal inspiré car il  ne tiendrait pas compte de l’apport magique de ces contrées pour nos civilisations qui se disent plus évoluées. Une démonstration de ces liens d’utilité au-delà des frontières est apportée par la pervenche de Madagascar. Cette petite fleur délicate originaire de l’île rouge, est très utilisée en médecine en particulier : elle est très efficace contre les cancers du sang (leucémie), des poumons, du sein et de la vessie… L’éradication de la forêt malgache ou brésilienne sont donc des pertes irréparables pour la médecine, pour la science etc.

La consommation dans les pays développés se maintient encore par un recours massif à l’emprunt et à la dette.

Les classes les plus aisées cherchent quant à elles à tirer le maximum de profit de l’argent accumulé et qu’elles ne peuvent pas vraiment dépenser, tant les sommes sont monstrueuses, ce qui renforce les bulles spéculatives : crise des dot Com dans les années 1990, puis crise immobilière en 2000 et enfin des subprimes fin 2007. Aujourd‘hui, le montant des transactions quotidiennes sur le marché des changes s’élève à un montant astronomique de 4 000 milliards de dollars.

La bulle de pauvreté se développe aussi à l’autre bout. L’Allemagne compte 7 millions de contrats à 400 euros par mois, favorisant une paupérisation qui renvoie à l’entre-deux guerres. L’Italie, la Grèce, l’Espagne (qui pourrait éclater avec l'indépendance de la Catalogue), le Portugal, le Royaume-Uni, pour ne citer que ces pays, se débattent dans d’énormes difficultés et sont confrontés à une remontée de la pauvreté et des inégalités. La France comptera plus de 10 millions de pauvres certainement en 2013, année où sera sans doute « battu » le triste record historique de 1993 du chômage, avec plus de 3,3 millions de chômeurs cherchant un emploi à temps plein.

La crise du système empêche de mesurer la crise plus fondamentale, bien présente, qui relie l’homme à la nature. Les événements de turbulences naturelles : tsunamis, cyclones, fonte de la banquise et des glaciers, sécheresse etc. sont en recrudescence.

Les coûts sociaux humains et naturels sont d’ores et déjà gigantesques et ne vont que s’accroître. Pourtant, la réponse des nations est très en deçà des enjeux.

Comment éviter le sort des Mayas et tirer profit des alertes pour réorienter nos systèmes de production et de consommation ?

Joseph Stigliz, Prix Nobel d’économie, confirme les difficultés du système à s’auto-réguler et à prendre en compte ses effets nocifs sur l’environnement. Selon lui, dans la plupart des « grands » pays, les riches banquiers et rentiers ont recours à leur fortune, à leurs moyens de propagande et de pouvoir pour façonner la législation afin de protéger et d’accroître leurs richesses. Ainsi, aux États-Unis, dans l'arrêt « Citizen United », la Cour Suprême a autorisé les grandes entreprises à utiliser leur argent pour influencer les orientations politiques.

  • Alors qu’à la plus haute fonction devrait s’attacher le plus grand blâme, un système social profondément inégal et dangereux pour l’écosystème se maintient sur la planète en raison d’un manque de maturité d’une gouvernance non éclairée.

Cette gouvernance cupide, comme l’explique si bien Joseph Stigliz, est incapable de se détacher de sa volonté d’accumulation forcenée. Comme les dignitaires mayas ont été sourds aux besoins d’évolution, elle corsette les décisions qui pourraient, qui devraient, conduire les États à une évolution plus raisonnée et responsable des équilibres naturels.
Cette stratégie d’obstruction et de déni que l’on a vu à l’œuvre dans les joutes scientifiques sur le réchauffement de la planète fait perdre un temps précieux à l’humanité. À tel point que beaucoup de scientifiques pensent qu’il est minuit dans le siècle et qu’il est trop tard pour que notre espèce survive.  

Hélas, ce n’est pas une nouvelle lubie.

Un chemin a été tracé par les Mayas, presque malgré eux. Pas en raison des prédictions qu’on leur a prêtées ou que l'on a interprétées, n’en déplaise aux catastrophistes de tout bord. Plus sérieusement, à l’inverse par leur incapacité à anticiper et à réformer leur système économique et social.

Toute civilisation est mortelle, comme le démontre la disparition très rapide de celle qui a su pourtant construire des pyramides immenses au milieu de la forêt vierge. Car si toutes les catastrophes sont souvent brusques et instaurent de dramatiques chambardements, on ne peut pas considérer que celles-ci soient imprévisibles. Tant que la catastrophe n’est pas là, on l’estompe. Son éventualité même est parfois discutée. Pourtant, les gouvernants et les puissants doivent considérer qu’eux et leurs progénitures ne traverseront pas ces catastrophes sans se laisser anéantir comme l’ont été les dignitaires mayas. Aussi, forts de cet enseignement de l’éradication de cette civilisation, les gouvernants et les puissants de la planète devraient considérer (même égoïstement) qu’ils n’ont plus beaucoup de temps pour inventer d’autres chemins.

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