Participatif
ACCÈS PUBLIC
07 / 05 / 2010 | 572 vues
Franck Mikula / Membre
Articles : 34
Inscrit(e) le 22 / 04 / 2009

Air France : causes et réponses à la souffrance au travail des PNC

Toute l’organisation de la production des navigants devrait être repensée autour des conditions de travail et de ses conséquences à long terme sur la santé des PNC.

Un salarié européen sur cinq déclare souffrir de troubles de santé liés au stress au travail. Au stress, il faut ajouter le sentiment de mal-être, parfois la violence ou les incivilités sur le lieu de travail, ou encore les harcèlements.

Les « risques psychosociaux » sont bien souvent méconnus des directions et des salariés eux-mêmes.

Même si ce terme commence progressivement à entrer dans le langage courant, le simple mot « psy » est encore tabou dans le cadre de notre métier, par peur d’être jugé comme fragile ou inapte au métier de navigant professionnel.

Pourtant, chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre, a pu être confronté à des situations qui ont parfois des conséquences importantes sur la santé, et qui accroissent de façon très sensible la pénibilité déjà lourde de notre activité de navigant.

Des causes professionnelles tenant à l'environnement

La direction nous le rabâche sans cesse : « Air France est en butte à des concurrents toujours plus aguerris. Nous devons être extrêmement réactifs et flexibles, nous devons revoir notre organisation pour être plus souples et pour nous adapter… pour survivre ! »

Or, cette flexibilité et cette adaptabilité permanente ne sont pas désincarnées. Elles tiennent pour l’essentiel dans les hommes et les femmes qui constituent l’organisation de l’entreprise.

Il nous appartient de discuter, voire de contester cette course éperdue aux gains de productivité, la « lowcostisation » du PNC et cette vision ultralibérale qui met l’accent sur la variabilité de la rémunération mesurée de façon individuelle et certaines idéologies managériales qui valorisent la performance individuelle, l’avancement au mérite et la notation permanente.

Des causes professionnelles plus spécifiques

Les navigants cumulent d’autres sources de souffrance plus spécifiquement liées à leur activité. Toute tentative de dresser une liste exhaustive serait vaine, néanmoins, on peut citer les causes les plus évidentes et les plus fréquentes : une certaine désocialisation des membres d’équipages en décalage avec les rythmes sociaux de leur famille et/ou de leurs amis qui rend difficile le maintien d’un véritable lien social, les contraintes familiales alors que nous sommes absents loin du domicile pour des durées parfois longues, les problèmes de sûreté (alertes à la bombe, reconduits à la frontière, instabilité géopolitique), les déroutements, les incivilités, voire les agressions, à bord ou en escale, les décès à bord, les turbulences qui, outre les dangers physiques, accroissent l’angoisse et augmentent le stress, les suites des accidents aériens qui nous rappellent sans cesse que les vols peuvent se terminer en drame, les conditions de travail engendrant du surmenage, des troubles du sommeil, de l’anxiété, voire des dépressions et un encadrement peu, voire pas du tout, formé à ces problématiques.

Des causes professionnelles tenant à l'organisation du travail

Certains médecins du travail se plaignent même de reproches qui leur sont faits par la direction d’Air France pour le nombre d’arrêts de vols prononcés…

Il faut insister sur ce point : ces phénomènes ne sont pas la marque de fragilités individuelles des salariés, mais sont plutôt révélateurs de dysfonctionnements plus généraux dans l’entreprise ou d’une organisation du travail déficiente.

La recherche perpétuelle de gains de productivité PNC, les réorganisations (NEO), la rémunération individualisée qui fait perdre de vue l’intérêt global du collectif de travail, contribuent à ce phénomène qui se traduit par moins de coopération, moins de confiance dans le collectif, des responsabilités personnelles davantage mises en avant et un travail vécu comme une aventure singulière pour chacun.

Par ailleurs, on ne peut pas nier que « salaire à la tâche » et « conditions de travail » entretiennent des relations dangereuses. Un système de rémunération trop productiviste peut pousser les salariés à accepter une détérioration de leur qualité de vie, ce qui peut avoir des conséquences lourdes pour la santé.

  • La médecine du travail d'Air France constate une augmentation du nombre de PNC victimes de syndromes anxio-dépressifs : ce n’est malheureusement pas une surprise !

Les médecins précisent également que la prise en compte de ces difficultés par des modifications des règles de programmation des PNC a un effet notable et favorable (là encore, quelle surprise !). Le dépistage des PNC victimes de ce syndrome s’accompagne souvent d’arrêts de vol prolongés et d’une orientation chez des spécialistes. Certains médecins du travail se plaignent même de reproches qui leur sont faits par la direction d’Air France pour le nombre d’arrêts de vols prononcés…

Une stratégie d'adaptation individuelle


Il ne fait pas de doute que les PNC sont très investis dans leur métier. C’est pourquoi les attentes sont fortes à l’égard de l’intérêt de leur travail et des conditions de sa réalisation. Paradoxe au moins apparent, beaucoup de PNC ont le souci de consacrer plus de temps à leur vie personnelle, de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Ce souci prend sa source, sans doute, dans des conditions de travail difficiles et dans des rythmes de travail très intensifs qui rendent plus compliquée l’organisation de sa vie personnelle pour exister en dehors des avions.

Pour y parvenir, nombreux sont ceux qui utilisent le temps alterné (environ 36 % de l’effectif). De cette façon, ils troquent une part de leur salaire contre de meilleures conditions d’emploi et de vie. Mais c’est une stratégie qui coûte cher, de façon immédiate par diminution de ses revenus, mais aussi à plus long terme par une diminution du salaire différé que constitue la pension de retraite.

La prévention passe par une réflexion collective sur l'organisation


La politique contractuelle menée par les organisations syndicales dans l’entreprise peut contribuer à créer des repères stables pour organiser sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Nous nous y sommes employés depuis notre création à Air France en 1994, en obtenant (après 4 ans de grève) un véritable accord collectif en 1999, le premier chez Air France. Avec cet accord, nous sommes passés du règne de l’unilatéral, du réglementaire, de la note de service et des règles qui changent tout le temps, au régime de l’accord collectif, du conventionnel et de la politique contractuelle ce qui a considérablement amélioré la stabilité des règles applicables aux PNC. À chaque renouvellement de cet accord à durée déterminée, nous nous sommes attachés à améliorer les temps de repos (qualitatifs et quantitatifs) et la stabilité de la programmation. Ceci concourt à mieux organiser le partage entre vie professionnelle et vie privée. Mais ce n’est pas suffisant.

C’est toute l’organisation de la production des navigants qui devraient être repensée autour des conditions de travail et des conséquences à long terme de cette organisation sur la santé des PNC. 

L’aspect productiviste de certains modes de rémunération devrait également être revu. Le salaire à la tâche peut menacer la santé, fragiliser le collectif PNC et favoriser les risques psychosociaux. Le salaire ne doit pas primer sur la santé et il faut sortir de ce non-choix entre santé et rémunération.

Reconnaissons que les représentants des salariés doivent gérer en la matière des exigences parfois contradictoires venant des PNC. S’il ne fait pas de doute que l’action des syndicats sur la rémunération est portée par l’idée d’une juste reconnaissance de l’engagement des PNC et de la compensation de certaines formes de pénibilité, cette compensation salariale, lorsqu’elle est trop individualisée avec un effet trop fort sur la variabilité de la rémunération, peut constituer à terme un obstacle à des améliorations ultérieures des conditions d’emploi et de repos.

Pour notre part, nous refusons de nous trouver devant cette alternative délétère : devoir choisir entre de meilleures rémunérations, au prix d’une dégradation de la santé, et une amélioration des conditions de travail, au prix de conditions de vie plus difficiles.

« Ce nouveau système de rémunération va changer la psychologie des PNC, ils vont maintenant se battre pour faire des heures de vol… »

En matière sociale, la pression du court terme, qui permet de présenter des résultats immédiats en termes de rémunération, est souvent très forte, mais à l’UNAC, nous défendons une démarche plus collective, quitte à ne voir ses bénéfices sur la santé qu’à plus longue échéance.

Ne nous y trompons pas, la direction met en oeuvre des politiques sociales à longue échéance. Comme nous le disait la direction générale en 2008 : « ce nouveau système de rémunération va changer la psychologie des PNC, ils vont maintenant se battre pour faire des heures de vol… ». Si ce n’est pas de la vision à long terme... Mais est-ce pour augmenter la productivité ou pour lutter contre le mal-être au travail ?

Au-delà des salariés et de leurs représentants, la réflexion collective doit aussi s’étendre à l’ensemble de la chaine managériale.

La mise en place de tels critères de rémunération pousserait sans doute la direction à écouter un peu plus les acteurs de terrain que nous sommes tous, salariés et représentants des salariés. Bref, tout le contraire de ce qui vient d’être fait, par exemple, pour le projet NEO sur moyen-courrier.

L’encadrement et les directeurs, jusqu’aux membres du conseil d’administration, doivent aussi être fortement impliqués dans la prévention des risques psychosociaux. Pourquoi leur rémunération ne serait-elle pas également indexée sur des critères sociaux plutôt que de n’être indexée que sur résultats économiques et financiers ?

L’autre vecteur d’amélioration, c’est la formation. Il est indispensable que des formations soient mises en place pour l’ensemble des PNC sur ces questions, et notamment pour les chefs de cabine, chefs de cabine principaux, instructeurs etc.

Là encore, l’ensemble de la direction doit également être formé à ces risques psychosociaux.

Bien souvent, les directeurs se délestent de leurs obligations sur le management intermédiaire. Les problèmes sont alors considérés par les directeurs sous l’angle curatif, une fois que le mal est fait, sans traiter les questions à la racine pour faire de la véritable prévention.

Comme s’il n’y avait pas de lien entre les politiques économiques et sociales mises en oeuvre dans l’entreprise et les troubles vécus par les salariés.

De toutes ces questions il faut parler, entre nous, entre collègues, mais aussi avec les médecins et avec les représentants du personnel.

Rappelons que l’entreprise est légalement responsable de la sécurité et de la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation n’est pas seulement une obligation de moyens, mais véritablement une obligation de résultat. Cette obligation générale de sécurité visée par le Code du Travail couvre également le problème de risques psychosociaux.

Un accord sur les RPS chez Air France


Concernant le seul sujet du stress au travail, un accord national interprofessionnel signé en juillet 2008 apporte quelques compléments très modestes. Pour décliner cet accord interprofessionnel national dans le cadre de l’entreprise, une négociation s’est déroulée chez Air France. Un accord collectif AF, baptisé « accord triennal de méthode et de prévention des risques psychosociaux et pour le développement de l’équilibre de la vie au travail », a été signé le 26 mars dernier par un grand nombre de syndicats (tous, sauf le SNPL). Il prévoit des dispositifs de prévention et d’accompagnement des salariés, ainsi que des formations spécifiques.

Sur les trois ans d’application de cet accord, nous nous efforcerons de faire prendre en compte les aspects spécifiques de la problématique PNC. C’est un premier pas qui, nous l’espérons, permettra aux syndicats d’agir sur l’organisation du travail et donc, de faire de la prévention.

Pas de réponse unique


La réponse essentielle à ces questions de risques psychosociaux tient dans la prévention. La réflexion doit concerner le collectif, notre communauté de travail, l’organisation du travail et le management. Ce travail est indispensable mais lent à produire des effets.

Cependant, il est important d’apporter des réponses rapides et un traitement individuel à ceux qui souffrent.

  • C’est ainsi que, dans un registre plus individuel, les syndicats qui constituent le bureau du CE Lignes, dont les élus UNAC, ont mis en place un nouveau système d’aide et d’assistance : « Bulles d’air ». Cette démarche, effectuée dans le cadre du CE Lignes, s’adresse à tous les navigants et permet à ceux qui le souhaitent de recevoir un accompagnement individualisé et anonyme.


Outre cette première démarche qui peut vous apporter une réponse ou une prise de conscience, si vous êtes victime de ce type de syndrome n’hésitez pas à vous faire arrêter par votre médecin et à consulter un spécialiste s’il le faut.

Les médecins du travail sont aussi les interlocuteurs privilégiés et des acteurs essentiels en la matière.

Leur rôle est central dans la prévention des pathologies à caractère professionnel. Leur mission fondamentale est d’éviter toute altération de la santé physique et mentale des salariés du fait de leur travail. En effet, ils ont parfois du mal à exercer sereinement leur mission, et se préoccuper des risques psychosociaux, c’est interroger implicitement l’organisation du travail, habituellement réservée au management et à la direction.

Les médecins du travail sont soumis au secret médical vis-à-vis de l’employeur. Il ne faut pas hésiter à les contacter. Ce sont eux qui sont habilités à proposer des mesures individuelles (transformation de poste ou adaptation des règles d’utilisation) justifiées par des considérations relatives à l’état de santé physique et mental des salariés.

Les victimes qui pensent que que leur état mental a un lien avec leur activité professionnelle doivent faire déclarer l'arrêt en « maladie à caractère professionnel » (MCP) par le médecin.

  • On constate en effet que malgré l’importance de ce phénomène, les psychopathologies sont très largement sous-déclarées par les médecins (hors médecine du travail). Pourtant, pour pousser à la mise en place de stratégies de prévention, les médecins devraient tous signaler les symptômes qui correspondent à de la souffrance au travail en faisant des déclarations de MCP.

L’article L 461-6 du Code de la Sécurité sociale demande aux médecins de signaler les pathologies à caractère professionnel à l’Inspection médicale du travail. Pour information, le tiers des pathologies signalées à caractère professionnel concerne la souffrance mentale en lien avec le travail (dépression, troubles anxieux, troubles du sommeil, fatigue généralisée…).

Afficher les commentaires

Mes félicitations pour votre propos pour le moins circonstancié.

Je veux rebondir sur le sentiment que vous portez concernant l’accord national interprofessionnel sur le stress. En effet, vous considérez les compléments apportés comme « modestes ».

Pour ma part, l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail constitue une petite révolution en la matière. Je voudrais rappeler qu’il y a peu, il n’existait que très peu de convergences de vue sur le stress au travail entre les représentants des employeurs et les représentants des salariés.

En quoi cet accord serait-il une petite révolution ?

D’abord sur les constats partagés par les partenaires sociaux au niveau national (et européen en première intention). En voici quelques uns :

·         Les facteurs du stress peuvent potentiellement se trouver à l’intérieur de l’entreprise :

o   L’organisation et le contenu du travail

o   L’environnement du travail

o   La communication

·         Le stress au travail n’est pas une maladie, en revanche, il peut avoir un impact sur la santé à partir du moment où il est prolongé ou répété,

·         La lutte contre le stress au travail produit des résultats économiques et sociaux dont les bénéficiaires sont non seulement les salariés et l’entreprise, mais également la société toute entière. A ce sujet, il faut bien considérer que la plus grande partie des coûts des impacts en terme de santé mentale sont actuellement pris en charge par le régime général de la sécurité sociale et non pas par la branche AT/MP. L’entourage familial des salariés est aussi un bénéficiaire de cette lutte contre le stress au travail.

Bien entendu, les constats ne suffisent pas pour faire changer les choses.

Alors, quelles sont les types d’actions préconisés dans cet accord ?

Voici les types de mesures évoqués dans l’accord national interprofessionnel sur le stress :

·         La consultation, l’information et l’information de tous les acteurs,

·         La clarification des objectifs de l’entreprise et du rôle de chacun

·         Le soutien de la Direction Générale aux équipes et aux personnes

·         L’amélioration de l’adéquation entre responsabilités confiées aux salariés et moyens fournis

·         La facilitation des échanges sur le travail à l’intérieur de l’entreprise

·         L’amélioration de l’organisation et des processus de travail

·         L’amélioration des conditions et de l’environnement du travail

·         La prise en compte de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée

J’aurais envie d’ajouter l’expression « excusez du peu !».

Parce que, à partir du moment où le dirigeant de l’entreprise a la conviction, la motivation, la détermination et une démarche participative pour déployer cet accord dans l’entreprise, on voit bien en quoi le niveau de qualité de vie, le rapport au travail et le dialogue social peuvent évoluer très favorablement dans l’entreprise.

Donc, cet accord vaudra bien évidemment par ce que les dirigeants d’entreprise voudront en faire :

·         A minima : une réponse à une obligation réglementaire qui pourrait donner lieu à une production d’affichage, potentiellement source d’amertume pour les salariés,

·         Au mieux : un véritable levier pour l’amélioration de la qualité de vie au travail

Pour en revenir aux attentes des PNC, il me semble que l’accord national sur le stress au travail porte en lui beaucoup d’éléments qui permettraient de prendre en considération les attentes exprimées.

Et c’est donc bien la façon dont sera déployé cet accord au sein de la Compagnie Air France (et en particulier ici pour l’activité des PNC), de la volonté de ses dirigeants et de la coopération de toutes les parties prenantes que dépendront les réponses qui pourraient être apportées à l’amélioration de la qualité de vie au travail sans détérioration de la qualité de vie générale des salariés.

Olivier HOEFFEL

Consultant en Qualité de Vie au Travail