Appeler un chat, un chat..... et une mutuelle, une mutuelle !
Charles Gorentin, patron fondateur d’Alan, société d’assurance qui a remporté l’appel d’offre « protection sociale » du ministère des Finances, s’est vu offrir le 5 novembre, une tribune dans la matinale de France Culture.
Qu’il se présente comme le dirigeant d’une mutuelle, est de bonne guerre : il cherche à entretenir une confusion profitable sur la nature de son entreprise.
Que celles et ceux qui ont préparé l’entretien fassent que, par deux fois au moins, le terme de « mutuelle » soit repris par Guillaume Erner, qui a conduit l’entretien, montre que cette confusion est largement partagée y compris dans une presse regardée comme sérieuse.
Dans « ESS : dynamiques d’innovations et d’émancipation » (éd.Le Croquant) je reviens sur l’importance de la bataille des mots dans le champ du social et notamment sur cette confusion sur les statuts des acteurs de la protection sociale.
User de l’appellation de « mutuelle » pour toutes les structures de la complémentaire-santé n’est pas nouveau. Il y a quelques années, la campagne de publicité de la Fédération Nationale de la Mutualité Française sur les « vraies mutuelles » résonnait comme l’aveu d’un échec.
Dans un monde libéral où les marques et ce qui leur est attaché sont défendues âprement par les sacro-saintes lois du commerce et au besoin par les tribunaux, l’appellation « mutuelle » est, elle, à l’encan !
Cette confusion contribue à ce que les mutuelles, fondées sur la solidarité et la démocratie, sur la non-lucrativité, se retrouvent banalisées et fragilisées dans leur confrontation aux assurances privées et à l’État libéral.
Alan n’est pas une mutuelle !
Elle est une start-up (abondamment) financiarisée intervenant dans le champ de l’assurance-santé, comme Ramsay ou Elsan sont des sociétés financières œuvrant dans le camp de la santé, comme Orpea et Clariane œuvrant dans le champ des seniors, comme Elior et Sodexo œuvrant dans le champ de la restauration collective.
On pourra m’objecter que certains dirigeants mutualistes ont consenti à l’ouverture du marché des complémentaires-santé, que des syndicalistes ont consenti à la marchandisation accélérée de celles-ci avec l’ANI de 2013 et avec l’accord PSC.
Il n’en demeure pas moins que s’agissant d’activités où la santé et le bien-être des humains est en jeu, cette situation se traduit par des prédations répétées qu’ont montré les ouvrages de Victor Castanet.
Dans le champ des associations, dans la suite de l’Avis du CESE sur leur financement sous-titré « une urgence démocratique », des initiatives sont prises pour lutter contre cette marchandisation. Celle-ci se trouve accélérée par le gouvernement et s’appuie largement sur les règlementations européennes qui tendent à assimiler au modèle unique des entreprises commerciales les structures non-lucratives impliquées dans des missions relevant de l’intérêt général, associations ou mutuelles.
Dès 1918, Antonio Gramsci relevait dans « l’Ordine nuovo » :
« les mots se calent sur la réalité idéologique des temps…ils se modèlent et se transforment avec les évolutions des (mauvaises) habitudes des hommes ».
Il est temps de se battre pour les mos et de renoncer à nos (mauvaises) habitudes.