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22 / 03 / 2018 | 18 vues
Jean-Philippe Milesy / Membre
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Gouvernance normalisée de l’ESS : on ne veut désormais voir qu’une tête

« Invitation », « instances », « instruction », « mise en demeure » du Haut Commissaire, Christophe Itier, on se demande à quoi répondent les instances de l’économie sociale et solidaire (Chambre Française de l’ESS, UDES, Union Des Employeurs de l’ESS, CNCRES, Conseil national des Chambres régionales de l’ESS, mais on évoque aussi le labo ESS et l’AVISE) en laissant entendre qu’elles pourraient ou qu’elles devraient fusionner.

J’avais évoqué dans les Brèves du CIRIEC-France (en janvier 2018 *) ce qu’il y avait d’anormal que ce soit le Haut Commissaire à (et non de) l’ESS qui semble décider de ce que doit être la « gouvernance » de l’ESS.

Quelle idée de leur champ les dirigeants de l’ESS peuvent-ils avoir pour déférer à la sollicitation d’un représentant étatique ?

Alors que le Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives et le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale avaient été de libre création, comme le CNCRES et même l’UDES, la Chambre Française de l’ESS avait été créée par la loi Hamon, signe de la subsidiarité de l’ESS et d’une économie de la réparation auxquelles tant de personnalités de l’ESS semblent se résoudre.

La gouvernance normalisée, l’appellation acceptée de « French Impact », l’idée de PACTE partagée, où sont passées les ambitieuses revendications des chiffres magiques de 10 % du PIB et de l’emploi, d’un « entreprendre autrement » ?

Reprenons chaque terme de la problématique. La gouvernance normalisée L’ESS revendiquerait comme valeur fondatrice la libre création et la libre adhésion mais, pour une large part, y renoncerait pour son instance nationale ?

On évoque « trop de structures » et on parle d’« illisibilité ». On ne veut désormais voir qu’une tête. Regardons donc les principaux « sortants » :

  • Le CNCRES, il traduit l’importance du fait régional dans le développement de l’ESS, la territorialisation des structures et des politiques. Il a initié et porte le mois de l’ESS, qui est l’expression majeure de la vivacité des initiatives de l'ESS au plus près des citoyens, l’observatoire et l’atlas qui consolident les données, outils essentiels pour la connaissance de l’ESS. Il est l’émanation des Chambres régionales de l’ESS qui ont su bâtir leur place dans la vie des régions. À ce propos, dans le nouveau schéma, les CRESS sont-elles aussi amenées à se transformer au risque de voir vingt ans de travail mis à mal ?
  • La Chambre Française de l'ESS est dès l’origine (que son président me pardonne) « bâtarde ». Elle a été imposée dans le cours de la discussion de la loi du 31 juillet 2014 par des « têtes de réseaux » inquiètes justement du développement régional mené par les CRESS et leur conseil national. Bien que se voulant la structure faîtière de l’ESS et rassemblant les représentants de groupements puissants, la Fédération nationale de la Mutualité Française, les Mutuelles d’Assurances, Coop-FR et les grandes associations, elle est demeurée dépendante de l’État pour une bonne partie de ses ressources, ce qui est inconcevable pour l’instance amenée à être l’interlocutrice dudit État.
  • L’UDES, elle, a pris la place de l’USGERES, union de groupements constituée pour répondre aux obligations des lois sur la formation professionnelle. L’UDES est la structure la plus importante de groupements et syndicats d’employeurs de l’ESS : son récent congrès a été un succès indéniable. Mais sa prétention à être la seule représentative est erronée. D’autres groupements existent, certes moins importants comme le Groupement des organismes employeurs de l’ESS ou l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles. Aux yeux du gouvernement actuel, il est l’interlocuteur le plus intéressant ; un groupement patronal est connu et son rôle est défini. L’UDES est d’autant plus intéressante qu’elle aura su, dans les dernières années, donner des gages de « sérieux ». Elle a apporté son soutien à la loi El Khomry, allant jusqu’à cosigner un communiqué virulent avec le MEDEF contre le vaste mouvement social du printemps 2016. De même, si fière d’être dûment consultée, elle a applaudi aux ordonnances Macron-Pénicaud. C’est que la priorité de l’UDES est sa représentation effective dans les instances, quel qu’en soit le prix visiblement. L’UDES est donc présentée comme la base de la gouvernance de l'ESS à venir.
  • L’AVISE, agence d’ingénierie pour développer l’ESS, créée par Hugues Sibille, est un acteur reconnu des innovations sociales que porte l’ESS ; elle a sa raison d’être. On ne voit pas ce qu’elle gagnerait à se fondre dans une instance globale.
  • Le labo ESS de Claude Alphandéry et Hugues Sibille est dans la même position. Aurait-il la même crédibilité dans un ensemble institutionnel ?

Le Haut Commissaire peut parler fort, ayant face à lui des dirigeants de l’ESS qui, au niveau national, ont démontré le peu d’intérêt qu’ils portaient à leurs instances. Que l’on en juge au niveau dérisoire des engagements financiers en leur soutien.

« French Impact »

Selon Christophe Itier, l’ESS avait besoin d’un nouveau nom, l’ancien d’économie sociale et solidaire lui paraissant incompris (à voir la politique du gouvernement actuel, on peut concevoir que se réclamer, fût-ce dans les mots, du social et de la solidarité paraît peu convenable).

Mais « French Impact », au-delà de cette expression très « novlangue », représente un véritable changement de paradigme, que l'on ne s'y trompe pas.

Il correspond à la volonté déjà affichée dans les « social impact bonds », la promotion de l’entrepreneuriat social introduit par la loi du 31 juillet 2014, le « social busin’ESS act » annoncé dans un premier temps, de mettre l’ESS et en premier lieu le monde associatif dans la dépendance des puissances financières privées à l’instar du « non-profit sector » et des « charities » anglo-saxons.

C’est toute la constitution progressive, progressiste de l’ESS, faite d’engagements citoyens, de démocratie et de solidarité qui se trouve ainsi remise en cause. Ce qui est recherché est une ESS arrachée à ses racines culturelles et politiques, issue pour une large part du mouvement social, pour devenir un secteur opérationnel dans les champs sociaux, dépendante pour l’essentiel de la commande publique.

Ce qui est promu est un entreprenariat de profit, dit social, car il introduirait quelques éléments de démocratie, ou apporterait quelque tempérament à l’accumulation du profit immédiat ; autant d’éléments portés hélas en germe dans la loi Hamon.

Le PACTE

Toujours dans les Brèves du CIRIEC-France (février 2018), j’ai exprimé mes doutes quant à la transformation en profondeur de la notion d’entreprise telle qu’elle paraît engagée. Au-delà d’une vaste opération cosmétique, c’est en quelque sorte un élargissement à l’envi de l’entrepreneuriat social. Cachons les profits, les dividendes. Proclamons l’entreprise comme une communauté humaine intégrant salariés, environnement, clients et fournisseurs.

Depuis Léon XIII et son encyclique Rerum Novarum de 1891, en passant par de Mun, de Gaulle etc., on cherche à « humaniser » le capital et à le réconcilier avec le travail, sans que rien n'ait été fondamentalement changé. C’est paradoxalement au temps de la financiarisation et de la recherche du profit spéculatif de court terme, alors que l’on a fait, par coups de boutoir successifs, éclater les États du compromis social (de Roosevelt au Conseil National de la Résistance) et que les inégalités se creusent comme jamais que l’on ressort les mêmes antiennes.

Comment prendre au sérieux la généralisation des sociétés à objet social et environnemental ?

À ce que l’on entend, les marchands de santé, les exploiteurs de la détresse des anciens et les destructeurs de la forêt birmane pourraient aisément apparaître comme les parangons des nouvelles vertus entrepreneuriales.

Avec la mise en place de ces impostures qualifiées de « réformes » et qui sont pour l’essentiel fondées sur les visions anciennes du libéralisme primitif, que devient l’idée d’ESS ?

Alors que des solidarités, des coopérations seraient nécessaires pour y résister, nous constatons un repli des entreprises et des « familles » ; c’est un désengagement des entités qui autrefois portaient les initiatives innovantes de l’ESS ; c’est la constitution des très grands groupes tels qu’au-delà des convictions des dirigeants, les logiques gestionnaires s’imposent.

La dynamique collective portée un demi-siècle après Charles Gide, tant par les pères refondateurs sous la conduite d’Henri Desroche que par Michel Rocard et la deuxième gauche au niveau gouvernemental, celle qui rassemblait mutuelles, coopératives et associations au sein du CNLAMCA (ancêtre du CEGES) ou des GRCMA (ancêtres des CRESS), celle qui croyait en l’émergence d’un mouvement en mesure de proposer une alternative, cette dynamique paraît céder le pas au chacun pour soi qui avait failli emporter les familles au milieu du XXème siècle.

Au risque de me répéter, il est paradoxal qu’alors que l’ESS acquiert dans la diversité des traditions une dimension collective en Europe (comme elle s’exprime par exemple dans les forums ESS de la Gauche Unitaire Européenne) ; qu’alors qu’elle a trouvé, notamment à travers l’action opiniâtre de Thierry Jeantet et des acteurs d’ESS-Forum International, une place lors des assemblées générales de l’ONU, on cherche en France, le berceau de la notion même d’économie sociale, à la disperser dans des ensembles indéfinis mais tous compatibles avec le développement néolibéral. N’est-ce pas l’essentiel ?

Pourtant, ici et ailleurs, des initiatives se développent qui témoignent de l’engagement, de la créativité, de l’efficience de nouveaux acteurs retrouvant les ressorts de solidarité, de démocratie et de coopération des formes premières de l’ESS : un sursaut est possible !

* www.ciriec-france.org

Les rencontres de la Plaine 2018 se dérouleront à la Bourse du travail de Saint-Denis, le 24 mars, sur le thème : « ESS et travail : comment le travail ? pour quoi le travail ? Modes d’emplois » Elles sont organisées par Plaine Commune, le GOEES, l’EMI-CFD et Rencontres sociales, en partenariat avec et L’Humanité, Politis et Le Journal de Saint-Denis.

Préinscriptions et renseignements : Jean-Philippe Milesy : milesy@rencontres-sociales.org.
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