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30 / 10 / 2015
Jean-Claude Ducatte / Membre
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Une autre lecture du conflit Air France et de ses conséquences : l'illusion d'un dialogue social apaisé...

Beaucoup pensaient que « le social » du XXIème siècle allait être plus policé, plus respectueux de l'autre et plus constructif que celui du XXème. C'était le triomphe annoncé du modèle de démocratie sociale apaisée, cher à la CFDT. Ce modèle initié par Edmond Maire, développé par Nicole Notat puis par François Chérèque est aujourd'hui incarné par Laurent Berger.

Chaque secrétaire général de la CFDT a contribué à transformer un syndicat venant du socialisme autogestionnaire en une machine à compromis social. Ce positionnement original lui a permis d'être en proximité avec le MEDEF d'Ernest-Antoine Seillière, avec le gouvernement et, depuis l'époque Larcher, l'imbrication avec le ministère du Travail n'a cessé de se resserrer.

  • Ainsi, en une vingtaine d'années, nous sommes passés d'un syndicalisme de contestation sociale et de revendications salariales à un syndicalisme sociétal d'accompagnement, dont le programme s'articule autour des conditions de travail et du stress au travail.

Même la caisse noire de l'UIMM n'a plus d'intérêt, comme l'a expliqué Denis Gauthier-Savagnac : « Les grèves n’étant plus ce qu’elles étaient, la caisse noire a fini par servir à arroser les syndicats dits réformistes : achats d’espaces publicitaires à prix d’or, locations de stands au même prix, achats de journaux syndicaux ».

Désagrégation du lien social et craintes corporatistes

Le ton était donné. La célèbre note du « think-tank » Terra Nova (3) sur l'abandon du monde ouvrier au profit des classes moyennes comme nouvel horizon électoral de la gauche en était le feu vert. Il y avait d'un côté une France du passé, attachée à son industrie qui déclinait inexorablement, et de l'autre une France de la modernité.

Dans ce contexte, Mittal éteignait progressivement tous ses hauts fourneaux en France.

  • Le monde ouvrier « criait son désespoir », accompagné par une CGT elle aussi en pleine décomposition : perte d'influence et succession de Bernard Thibault catastrophique. Même SUD, pourtant rompu à la mobilisation, à « l'agit-prop » et aux « coups de com » était incapable de rafler la mise.

 
Jacques Attali et bien d'autres dessinaient une France modernisée, européanisée et mondialisée, où les privilégiés d'hier devaient abandonner leurs rentes de situation ; symboles de cette France rétrécie et nantie, les chômeurs priés de retrouver un emploi avec la menace de suppression de leurs allocations, mais aussi les transporteurs, les taxis, les pharmaciens, les notaires, les greffiers, les agriculteurs, les médecins, les infirmières libérales, les avocats etc. Quant aux bonnets rouges, ce n'était que des anachronismes régionalistes opposés aux transports modernes et à l'écologie. Au total, plus de 60 professions ont défilé (séparément) depuis l'accession de François Hollande à l'Élysée.

Les fonctionnaires sont l'autre cible du modernisme : critiqués voire culpabilisés en raison de leurs avantages acquis, de leur statut, de leur absence de mobilité géographique et de leur absentéisme au travail.

Pour une majorité, la fluidification proposée par la loi Macron est perçue comme une machine à précariser…
 
À la déréglementation s'ajoutait l'ubérisation, la nomadisation et la numérisation des services. Les horizons de la monétarisation n'avaient plus de limite avec de nombreux avantages mais aussi de sourdes menaces. Le plombier polonais, maintes fois évoqué, prenait le visage de son voisin mais aussi à terme celui du migrant.
 
On comprend ainsi mieux pourquoi toutes ces professions sont dans la rue. Contrairement aux indications des sondages, ces manifestations ont été plutôt bien accueillies par la population. La complaisance n'est plus liée à la défense des intérêts de ces professions mais à ce qu'elles représentent dans le tissu social.

C'est dans ce contexte social, où la défiance du politique, la crispation sociale et le chômage atteignent des sommets, que débute le conflit Air France…

Air France, plus qu'un conflit, un symbole

Air France est à la fois une société à part (mi publique, mi privée), mais aussi une société fortement endettée qui vit au rythme des plans sociaux à répétition depuis 2009. Des accords avantageux ont permis d'éviter des licenciements mais aujourd'hui la donne a changé car les partants potentiels sont moins nombreux.

Depuis plusieurs mois, la tension existait entre la direction et le syndicat des pilotes (SNPL) accusé de ne pas avoir tenu ses engagements dans le cadre du plan précédent (Transform 2015). C'est dans ce contexte que s'est déroulé le comité d'entreprise.

La stratégie de la direction a consisté :

  • à mettre en avant dans un premier temps les avantages de ses salariés face à la concurrence afin de les faire apparaître comme des privilégiés et les couper d'un éventuel soutien de l'opinion publique. C'est ce qui explique que le projet a fuité dans la presse avant même la tenue du comité d'entreprise ;
  • et à montrer que les efforts demandés (amélioration de la productivité de 17%) dans le cadre du plan Perform 2020 étaient peu importants au regard du travail demandé aux pilotes dans les autres compagnies ;
  • à choisir ses interlocuteurs syndicaux en flattant les corporatismes pour éviter les risques de constitution d'un front syndical dans une entreprise fortement syndicalisée.
  • et à montrer qu'il n'y avait pas d'autre choix et que le refus du plan de la direction risquait de « mettre à terre toute l'entreprise » et que le personnel concerné en serait tenu pour responsable.

Personne n'avait imaginé la suite, à savoir l'irruption de nombreux salariés dans la salle du CE. Personne n'avait imaginé que la vidéo de la fuite du DRH et la posture hautaine des autres membres de la délégation patronale face à une hôtesse en larmes allait inonder la toile. Personne n'avait pensé que l'opinion publique allait se retourner et que « les terroristes » 5 vilipendés dans les premières heures allaient devenir des salariés en colère face à une direction inflexible.



Quelle leçon en tirer ?

Toutes les techniques de management et de négociation apprises dans les écoles de commerce ont failli.
L'avenir dira comment Air France surmontera ses difficultés mais il convient de souligner que toutes les techniques de management et de négociation apprises dans les écoles de commerce ont failli.

La technique de distanciation qui consiste à ne pas impliquer les dirigeants dans certaines phases de négociation, comme l'annonce du plan, a été une erreur majeure. Il en est de même pour ce qui concerne la délégation patronale. Sa posture et son mutisme ont été perçus comme de l'arrogance alors que le personnel n'attendait que proximité et dialogue. La tentative de diabolisation du personnel et de la CGT ayant agressé le DRH n'a pesé que le poids d'une chemise face aux 2 900 licenciements. C'est ainsi que la colère et le débordement ont été légitimés dans l'opinion publique.
 
Si certains services publics ou privés seront les nouvelles sidérurgies de demain, il devient urgent de réviser les stratégies et les postures de négociation si l'on veut éviter de pareils débordements.
 
Il serait bon de se souvenir de ce que l'on enseignait dans les années 1970 dans les officines proches du patronat. Lors de ces séminaires, on étudiait la négociation et les postures à tenir. Parmi celles-ci, que faire lorsqu'une situation dégénère ? Deux attitudes étaient préconisées : ne jamais chercher à fuir ou à s'échapper pour maintenir le prestige de la fonction et l'image de l'entreprise et toujours se placer dans un angle afin de n'avoir jamais quelqu'un derrière soi. Il est vrai qu'à l'époque, on ne parlait pas de dialogue social mais de négociations sociales.

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