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03 / 07 / 2017 | 1 vue
Denis Garnier / Membre
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La fusion du CE et du CHSCT enclenche la marche arrière

Un nouveau danger grave et imminent pour les salariés...

Le contenu exact des intentions gouvernementales n’est pas encore précisé mais la fusion des instances représentatives du personnel (CE, DP, CHSCT) semble en marche.

Le CHSCT mériterait sans doute d’être repositionné dans une nouvelle architecture de la santé et sécurité au travail mais son intégration dans les travaux du CE ou plutôt sa dissolution, serait un retour de 35 ans (voire 70) en arrière.

En effet, les comités d’hygiène et sécurité (CHS) ont été créés en 1941 dans les entreprises de plus de 500 salariés. En 1973, le seuil a été ramené à 300 et 50 par la suite.

Parallèlement, des commissions d’amélioration des conditions de travail (CACT) ont été intégrées au sein des comités d’entreprise lors de leur création en 1947.

Il a fallu attendre les lois Auroux de 1982 pour que les CHS et les CACT fusionnent par la création des CHSCT dans le secteur privé et en 1985 dans la fonction publique hospitalière. Cette fusion était parfaitement logique, le constat étant sans appel : la dégradation des conditions de travail a connu des effets directs sur la santé et la sécurité des travailleurs.

Il a encore fallu attendre les accords sur la santé et la sécurité au travail de 2009 pour que les CHS de la fonction publique deviennent à leur tour des CHSCT. En 2011 pour l’État et en 2014 pour la territoriale.

Les questions de santé et sécurité au travail, de prévention de risques professionnels et de conditions de travail deviennent centrales. Mon expérience au sein du comité technique national H (CTN) au sein de la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS) m’a confirmé au quotidien que les représentants du MEDEF et de la CGPME qui étaient à la table étaient très attachés aux travaux des CHSCT dans les entreprises. Toutes les recommandations que nous avons négociées ensemble, salariés et employeurs, font appel à la vigilance des CHSCT. Il est vrai que Pierre Gattaz ne côtoie pas ce type d’instances constructives.

Les spécialistes tels que l’INRS [1] et l’OPPBTP [2], qui sont administrés de façon paritaire entre les organisations patronales et les organisations syndicales, ont travaillé sur le CHSCT qu’ils considèrent depuis longtemps comme une instance essentielle de la prévention des risques professionnels.

Le dernier plan de santé au travail 2016-2020 souligne l’importance de mobiliser les CHSCT dans quasiment toutes ses actions [3].

Progressivement, la prévention des risques professionnels s’intègre dans les programmes de formation des grandes écoles, dans les écoles de management car, en ce début de XXIème siècle, il apparaît nettement que, d’une part, un salarié en bonne santé est plus productif et, d’autre part, que l’investissement dans la prévention des risques professionnels est une affaire rentable [4].

Ce n’est pas une généralité mais le CHSCT est progressivement devenu une instance reconnue et incontournable dans cette évolution et se pose comme un partenaire essentiel des employeurs épris de qualité.

En effet, ce dernier contribue largement à proposer une amélioration constante des conditions de travail et donc à la qualité de vie au travail des salariés. En signant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, le MEDEF « a posé la qualité de vie au travail comme l'un des éléments importants de la compétitivité des entreprises » [5].

Un accord sur la qualité de vie au travail dans lequel « les partenaires sociaux souhaitent rappeler à cette occasion l’importance qu’ils attachent au rôle du CHSCT (…) Ils demandent même aux pouvoirs publics d’autoriser des expérimentations, dérogatoires au droit commun, permettant d’améliorer le cadre de fonctionnement des CHSCT ».

Il est alors tout à fait surprenant de passer tout ceci par dessus bord, sauf pour les partisans de ces vieilles méthodes qui sévissent encore dans les entreprises dont la seule finalité à court termes reste le profit maximum. Ils essorent, ils jettent, ils achètent, ils exploitent, ils revendent etc.

La disparition du CHSCT peut aujourd’hui paraître comme une volonté du pouvoir en place de privilégier le profit au détriment de la qualité, notamment de la qualité de vie au travail.

À l’image des constructeurs de voiture, de l’industrie agro-alimentaire, pharmaceutique, bancaires et de bien d’autres secteurs, ce choix conduit à des falsifications permanentes qui alimentent régulièrement les scandales.

Oui, la dissolution des CHSCT va placer la santé, la sécurité et les conditions de travail des travailleurs aux mains des seuls employeurs comme cel a été le cas avant 1890 lorsque les mineurs avaient obtenu une première loi sur leur sécurité.

Cette revendication du MEDEF, qui infirme son engagement pour la qualité de vie au travail, qui infirme les 10 propositions que Muriel Pénicaud (ministre du Travail) a cosigné dans un rapport en février 2010, (« Bien-être et efficacité au travail ») est un contresens historique et un nouveau danger grave et imminent pour les travailleurs.

En marche arrière, le bon sens ne peut avancer.

Le CHSCT nouveau doit arriver.

Toute réforme n’est pas à rejeter dans la mesure ou elle s’inscrit dans le bon sens, c'est-à-dire dans un sens qui permet d’améliorer des situations existantes.

Le CHSCT de 1982, résultant des lois Auroux, doit désormais prendre en compte son environnement. Ce dernier découle essentiellement de la réorganisation de la médecine du travail en service de santé au travail par une équipe pluridisciplinaire mais aussi par l’apport des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) qui peuvent agir tant auprès des services de santé au travail (article L4622-8) que de celui de l’employeur (art L4644-1).

Le médecin du travail n’est plus seul et l’employeur peut s’appuyer sur des compétences.

Dans ces nouvelles conditions, faut-il que le CHSCT conserve l’ensemble de ses attributions alors qu'il lui est matériellement impossible de les remplir ?

Ne doit-on pas profiter de ce moment pour donner au CHSCT un rôle plus durable et constructif ?

Si la contribution à la prévention, à la protection de la santé physique et mentale, à la sécurité des travailleurs et à l'amélioration des conditions de travail doivent être confirmées, s’il doit rester la tour de contrôle des prescriptions légales prises en la matière, doit-il pour autant effectuer lui-même l’analyse des risques et réaliser des enquêtes sur les accidents de travail et maladies professionnelles ?

Cette question peut éventuellement choquer mais quelles sont les compétences réelles des  CHSCT en la matière ?

Les membres et les présidents des CHSCT sont de passage alors que les risques sont permanents. Concernant les représentants du personnel, ils ne bénéficient que de quelques heures par mois et d’une seule formation de 5 jours au cours de leur mandat pour acquérir les compétences nécessaires pour observer, comprendre et agir sur des domaines aussi divers que les risques chimiques, biologiques, physiques, le bruit, les vibrations, les rayonnements,  les risques psychosociaux, les harcèlements, les organisations du travail etc. ?

Il est évident que cette expertise nécessaire est incompatible avec la durée du mandat et de leur formation.

La complémentarité des intervenants dans le domaine de la santé, de la sécurité, de la prévention des risques professionnels et de l’amélioration des conditions de travail doit s’affirmer.

Les intervenants en prévention des risques professionnels placés auprès de l’employeur doivent pouvoir :
  • alerter ce dernier en amont de tous les projets, qu’ils soient d’intra-structures ou d’organisation du travail ;
  • procéder aux enquêtes à l’occasion de chaque accident du travail ;
  • analyser les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs ;
  • mettre à jour le document unique ;
  • préparer le plan de prévention des risques et d’amélioration des conditions de travail.

Ce sont des acteurs de la prévention primaire. Ils doivent aussi pouvoir répondre aux lanceurs d’alertes que sont les représentants du personnel ou bien encore, là où c’est en place, aux dysfonctionnements qui sont portés sur les fiches d’événements indésirables.

L’équipe pluridisciplinaire des services de santé au travail en plus des activités médicales qui lui sont propres (visites médicales, aptitude etc.) doit pouvoir procéder à :

  • l'adaptation et à l'aménagement des postes de travail afin de faciliter l'accès des handicapés à tous les emplois et de favoriser leur maintien dans l'emploi au cours de leur vie professionnelle ;
  • l'analyse des conditions de travail ;
  • l'analyse de l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité ;
  • des inspections régulières ;
  • de l’écoute et du soutien dans les situations de risque psychosociaux.

La complémentarité de l’équipe pluridisciplinaire entre des médecins, des ergonomes, des psychologues, des assistants, des IPRP et des infirmières doit produire une réponse et des alertes qui pourront se traduire en plan d’actions par le CHSCT.

Le CHSCT contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l'établissement et suscite toute initiative qu'il estime utile dans cette perspective.

Il doit devenir, avec l’employeur qui le préside, l’architecte des plans d’actions négociés en matière de prévention des risques professionnels, psychosociaux, du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes.

Son plan d’action découle des alertes du service de santé au travail mais aussi du plan de prévention tiré lui-même du document unique et présenté par l’IPRP.

Enfin, il existe des domaines pour lequel les ressources internes ne permettent pas d’explorer un risque particulier ; c’est pourquoi le CHSCT doit conserver son droit à expertise dans le cadre de ce qui lui est accordé aujourd’hui.

Ici doit se porter la négociation sur l’évolution du CHSCT.

Le CHSCT pour le bien être et l’efficacité au travail

En quelque sorte, les IPRP, les services de santé au travail et les CHSCT doivent s’inscrire dans une complémentarité qui n’est pas clairement définie aujourd’hui.

Il reste évident que les recommandations formulées dans le rapport sur le « Bien-être et l’efficacité au travail » de Henri Lachmann, Christian Laroze et Muriel Pénicaud [6] de février 2010,  doivent plus que jamais trouver leur sens dans cette nouvelle architecture de la santé et sécurité au travail dans les entreprises et la fonction publique qui ne sera pas épargnée par cette réforme.

L’employeur et son CHSCT doivent engager une marche en avant pour une meilleure protection de la santé, de la sécurité et des conditions de travail des salariés et des agents de la fonction publique.

[1] Institut national de recherche et de sécurité (http://www.inrs.fr/).

[2] Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (https://www.oppbtp.com/).

[3] Exemple : objectif n° 1 : action 1.1 « renforcer la traduction opérationnelle de l’évaluation des risques dans la planification d’actions concrètes de prévention, en assurant un meilleur maillage entre fiche d’entreprise, document unique d’évaluation des risques (DUER) et programme annuel de prévention, en mobilisant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ».

[4] L’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) : pour 1 euro investi, le retour est de 2,2 fois la somme de départ. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : le rapport bénéfices-coûts peut atteindre 4,81. L’OPPBTP (Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics en France) aboutit à rapport moyen bénéfices coûts de 2,19. Le groupe de promotion pour la prévention en santé au Canada a démontré que 1 dollar canadien investi dans la santé au travail peut rapporter de 1,5 à 8 dollars.

[5] Contribution du MEDEF-COCT - conditions de travail - bilan 2014 (p-55).

[6] Les 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail :

1. L’implication de la direction générale et de son conseil d’administration est indispensable. L’évaluation des performances doit intégrer le facteur humain, donc la santé des salariés.
2. La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas. Les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé.
3. Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail. Restaurer des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail.
4. Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé. Le dialogue social, dans l’entreprise et en dehors, est une priorité.
5. La mesure induit les comportements. Mesurer les conditions de santé et sécurité au travail est une condition du développement du bien-être en entreprise.
6. Préparer et former les managers au rôle de manager. Affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes.
7. Ne pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus. Valoriser les performances collectives pour rendre les organisations de travail plus motivantes et plus efficientes.
8. Anticiper et prendre en compte les effets humains des changements. Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer les effets et la faisabilité humaine du changement.
9. La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise. L’entreprise a des effets humains sur son environnement, en particulier sur ses fournisseurs.
10. Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes.

 

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