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12 / 11 / 2014 | 3 vues
Sylvain Thibon / Membre
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Canal + : la fête est finie et maintenant ?

Déjà le temps des photos, des vidéos, des souvenirs, et maintenant, que se passe-t-il ?

Une partie de la réponse se trouvait sur scène ce jeudi 6 novembre, jour des 30 ans de Canal +. Pas du côté de « M », le fils de Louis (on aime ou pas), mais reconnaissons la capacité du fils de Louis Chedid à mettre de l’ambiance. La réponse sur le proche avenir nous a été en partie transmise par les premiers montés sur scène de cette soirée, les talentueux salariés de Canal+ capables de maîtriser la technique audiovisuelle et la guitare basse, la gestion d’un service clients et la chanson rock, le management d’un pôle édition et la guitare. Franchement, du travail de pro. Bravo !

Parmi ceux-là, certains sont en partance, d’autres plus ou moins sur la sellette, dans le collimateur d’une vaste réorganisation qui ne veut pas dire son nom. Démissions, ruptures conventionnelles ou licenciements, les organisations de Canal+ bougent à marche forcée en cette fin d’année 2014.

Des lendemains plus ou moins rock and roll, selon la position que l’on adopte. Car nul doute que ce qui se passe en cette fin 2014 annonce une année 2015 mouvante, notamment sur le plan social. Ce que nous mesurons difficilement, c’est le degré d’acceptabilité de ces restructurations plus que de leur efficacité. De ce point de vue, les chiffres parlent d’eux-mêmes et les choix réalisés depuis plusieurs mois (voire depuis plusieurs années dans certains secteurs comme celui de la distribution) ne donnent pas, loin de là, les résultats escomptés. La crise a parfois bon dos et il ne suffit pas de remplacer des vieux par des jeunes pour que ça marche.  C’est dans un cocktail subtil de mélanges de compétences, d’âges, de mobilité intelligente, de recrutements judicieux que la mayonnaise peut prendre et l'activité resplendir.

Les causes de cette politique contre-productive sont connues. Elles ne concernent pas que Canal+ mais toutes les entreprises (moyennes ou grandes) ayant pour premier objectif un niveau minimal de rentabilité, 20 ou 30%, un chiffre en dessous duquel l’entreprise n’est pas assez rentable avant tout pour ses actionnaires. Là comme ailleurs, la crise aidant, il faut dégager des marges même lorsque l'avtivité est à la peine. Parmi ces marges, il en existe une, simple à mettre en œuvre car malléable : le social, les salariés. Ajoutons une volonté de forcer le renouvellement des générations et nous obtenons les ingrédients classiques et malheureusement banals de la vie de nos entreprises françaises, calqués sur un modèle mondialisé mais destructeur de valeurs, d'activité et surtout d’emplois.

Un modèle pas seulement destructeur de valeurs et d’emplois mais aussi de créativité

Tout un pan déjà dissout de la créativité du Canal+ historique est parti. Il en reste quelques oripeaux mais qui sont maintenant dans le collimateur, cible idéale : plus âgés, chers payés et pas assez geeks.

Cette belle histoire de la réussite d’un projet incroyable devrait donc finir de se dissoudre pour faire place au renouveau d’une activité toute orientée vers l'internet….

Sur ce plan, il serait temps ! Nous avons raté le coche il y a dix ans. Il faudrait mettre les bouchées doubles pour combler ce déficit. S’il faut évidemment investir fortement les nouveaux espaces numériques incontournables et vitaux, il serait absurde de penser construire le nouveau Canal+ sur un champ de ruines sociales. 

Car l’expérience de ces sept dernières années a déjà démontré ses limites. La nouveauté sur le plan éditorial, c'est que nous n’en sommes plus toujours à l’avant-garde ; les expériences technologiques nous précèdent bien souvent alors que nous étions les meilleurs dans les années 1990 et 2000. Cette créativité, ces choix stratégiques ont été portés à l’époque par un homme qui, en créant Canal+ en 1984, fêtait ses 62 ans, André Rousselet.

L’âge et l’expérience pour engager, développer imaginer, entraîner toute une génération de créateurs et d’artistes, d’inventeurs et de doux rêveurs aux idées géniales, une expérience extraordinaire qui donne encore aujourd’hui à Canal+ l’image de la réussite et de l’innovation.

Fait révélateur, c'est d'ailleurs après son départ que le bateau a pris des chemins de traverses qui ont failli lui coûter la vie… C’est de l’histoire ; regardons l’avenir : 4 500 salariés dans l’attente…

Depuis le changement d’actionnaire et la réorganisation de Vivendi (notre actionnaire et propriétaire), tout le monde attend avec impatience le message de clarification qui doit venir. Car si le groupe Vivendi a vendu quelques bijoux télécom, il est maintenant totalement propriétaire de deux belles entreprises : UMG et Canal+. On sait Vincent Bolloré particulièrement intéressé par Canal+. C’est d’ailleurs un changement fondamental d’organisation, auparavant un actionnaire lointain et seulement préoccupé de la rentabilité annuelle de Canal+, aujourd’hui, un actionnaire bien présent, actif, curieux et souhaitant peser de tout son poids sur la stratégie à venir.

Nous voyons cette stratégie se dessiner. Développement international, une aubaine que nous soyons déjà implantés dans de nombreux pays, encore une fois grâce à André, un changement de posture avec nos principaux concurrents ou comment passer du contentieux au dialogue, enfin une accélération dans la digitalisation et peut-être un retour dans des secteurs que nous avons quittés il y a maintenant dix ans, 3 ou 4 grands axes qui pourraient faire notre avenir.

Cet avenir ne se construira pas sans être compris et adopté par les salariés et d’abord par son management. Un management qui est entré dans une période troublée alors que ses objectifs semblent pleinement orientés vers la réduction d’effectifs et « dégraisser », comme l’affirment certains à leurs collaborateurs, plutôt que vers le développement des équipes. Une incongruité qui ne va pas servir nos intérêts de court terme.

On croyait ce langage désuet, ersatz d’une époque révolue des années 1980, quand il fallait fermer des pans entiers de notre industrie française alors que certaines têtes bien faites imaginaient une France de services débarrassées de ses sites industriels et de ses hautes cheminées fumantes… Ils y sont arrivés en partie, avec à la clef 4 millions de chômeurs aujourd'hui…

Si l’on applique ce schéma à l’audiovisuel, des centaines, voire peut-être des milliers pourraient également disparaître. Car sous couvert d’automatisation et d’industrialisation des processus, on peut faire aujourd’hui tourner des machines audiovisuelles avec beaucoup moins de monde. C’est déjà le cas sur certains plateaux de télévision ; ce sera encore plus vrai dès demain.

La boulimie d’économies à réaliser, la volonté de réduire les effectifs, de favoriser un fonctionnement automatisé et lorsque ce n’est pas possible, d’externaliser les activités qui peuvent l’être, des concepts en réflexion ou à l’œuvre sur lesquels nous devons réfléchir, agir et proposer des alternatives. Supprimer des emplois, c’est aussi, rappelons-le, empêcher des centaines de Français d’accéder à nos offres ou de les inciter à se désabonner. C’est déjà le cas pour des centaines de salariés prestataires qui travaillaient pour nous en France et dont les activités de la relation client ont été délocalisées il y a deux ans au Maroc... Dans ce contexte, faut-il également accepter que ce soit la collectivité qui assume le coût de la restructuration de ce secteur en prenant en charge par l'assurance chômage les incohérences de nos choix ?

Il n’y a pas de fatalité, seulement de la faiblesse et de l’inaction... 

Dessine-moi un avenir...

Vincent à la manœuvre pour construire le futur mais quel futur ? Un futur sans âme et sans tripes ? Un futur internationalisé de ratios financiers ? Ou un futur de créativité, d’emplois, de sagesse sociale, une machine à favoriser l’émergence de centaines de talents, d’inventer de réinventer la télé, l’audiovisuel, le divertissement à la française et le cinéma ? Nous y sommes, disent certains. Studio Bagel à l’avant-garde de cette révolution ? Il faudra plus de moyens mais il faudra surtout un changement radical de posture sociale.

L’avenir, ce n’est pas la négation du passé mais ses fondations. De grandes compétences ont quitté ou vont quitter le groupe. Elles nous font aujourd’hui cruellement défaut. Pour que la fête des 40 ans ne soit pas celle d’une banale entreprise de l’audiovisuel mais celle d’un groupe fort, créatif, reconnu sur le plan national et international, il faudra concilier la grande histoire avec celle qui est à construire, se retourner sur ces dix dernières années, prendre le meilleur, laisser tomber le pire et cesser d’opposer l’ancien et le nouveau, le geek et le non geek et refaire de Canal+ une belle aventure économique mais aussi sociale.

Alors Canal+ pourrait inventer un modèle européen de l’audiovisuel du XXIème siècle qui n’a pas encore accouché. Les employés de Canal, ceux d’aujourd’hui et pourquoi pas pour certains, ceux d’hier, un projet humain autant qu’industriel, la quatrième vie de Canal+ saura-t-elle relever ces défis ? C’est au nouveau dirigeant de Vivendi d’en décider pour que Canal+ soit à nouveau synonyme de réussites industrielles et humaines.

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