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Créer des emplois non qualifiés est-il la meilleure voie pour lutter contre le chômage ?
Vincent Charlet et Philippe Frocrain de La Fabrique de l'Industrie dans la dernière publication des Annales des mines, La Gazette de la société et des techniques, se sont penchés sur un questionnement intéressant.
En France, le financement de la protection sociale pèse plus qu’ailleurs sur le coût du travail et contribue au maintien d’un chômage élevé, particulièrement pour les salariés peu qualifiés.
Les allégements de charges visent donc à réduire le chômage en stimulant la demande de travail, notamment quand ils sont ciblés sur les bas salaires.
L’efficacité de ces mesures est cependant matière à débat, comme l’a encore illustré l’évaluation du CICE ; elles ont surtout des effets indésirables sur la croissance et la montée des qualifications à long terme. Un soutien à la compétitivité du secteur exportateur offrirait une voie alternative, susceptible d’assurer plus d’activité et d’emploi à plus long terme, du moins tant que les salaires n’augmentent pas trop vite.
Les auteurs de cette note rappelle que les allégements de charges est en fait une idée ancienne mais controversée.
Jusque dans les années 1980, la littérature économique est restée prudente. Le discours a changé dans les années 1990, surtout en France, quand les effectifs de chômeurs non qualifiés ont brutalement augmenté. Les allégements sur les bas salaires ont été lancés en France en 1993, sur les recommandations du Commissariat général au plan.
De plus en plus d’auteurs ont conseillé de cibler les allégements sur les bas salaires et les actifs peu qualifiés.
La France se distingue aujourd’hui par l’ampleur de ces allégements (de l’ordre de 25 milliards par an avant le lancement du CICE) et par le relatif consensus des chercheurs et évaluateurs autour de leur efficacité pour créer ou préserver des emplois non qualifiés, du moins tant que l’on parle de la « première vague » des allégements (1993-1996).
Mais les allégements de charges ont presque toujours été défensifs et non offensifs. Ils ont compensé des hausses du coût du travail : « coup de pouce » au SMIC et réduction du temps de travail. C’est ce qui fait dire à Yannick L’Horty (dans son ouvrage Les nouvelles politiques de l'emploi) que la France ne s’est jamais véritablement engagée dans une politique volontariste de réduction du coût du travail non qualifié.
Enfin, ces mesures seraient coûteuses pour l’État si elles n’étaient pas toujours « compensées » par la réduction de dépenses publiques et l’augmentation de prélèvements obligatoires. Il existe donc un contrecoup négatif sur l’emploi, qualifié ou non, qui n’est pas toujours pris en compte par les évaluations.
La Fabrique de l’industrie a mené une analyse approfondie de 70 articles, dont 43 cherchent explicitement à déterminer si les allégements de charges sur les bas salaires créent des emplois. Ces articles sont en majorité optimistes, fût-ce avec réserves, mais les travaux académiques soumis dans des revues à comité de lecture et fondés sur une analyse microéconomique sont plus réservés que les autres.
Outre le risque d’inefficacité, le principal inconvénient des allégements sur les bas salaires est qu'ils peuvent créer ou préserver des emplois non qualifiés au détriment des emplois qualifiés.
Les allégements ont un deuxième effet pervers : ils freinent la progression des bas salaires puisque celle-ci se traduit désormais par une augmentation du taux de charges pour l’employeur. On parle de trappes à bas salaires. Pour une majorité d’auteurs théoriques, c’est une vieille évidence...
En réalité, on sait encore mal distinguer les effets purs des allégements de ceux de phénomènes concomitants, notamment de la hausse du SMIC. Le débat est donc toujours ouvert.
Un renforcement de l’évaluation des politiques publiques, dans le respect de la pluralité des méthodes d’évaluation, paraît donc extrêmement souhaitable.