Du capitalisme au capabilisme, une voie d’avenir ?
La lecture estivale de l’ouvrage « Adam Smith, l’antidote ultime au capitalisme » de Thierry C. Pauchant, professeur honoraire à HEC Montréal et membre du CIRIEC-Canada nous incite à une grande réflexion sur l’histoire de l’économie politique et l’applicabilité des théories économiques au contexte d’aujourd’hui.
Pour commencer, dans une démonstration très documentée, l’auteur met à bas l’affirmation selon laquelle Adam Smith serait le fondateur du capitalisme, idée largement propagée par les tenants du néolibéralisme qui voyaient dans son ouvrage célèbre « Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des nations » la justification de la liberté que tout individu doit avoir pour mener des activités économiques, sans aucune contrainte notamment étatique.
Bien au contraire, Thierry Pauchant montre la conception très sociale de l’économie politique d’Adam Smith, qui avant tout doit répondre aux besoins exprimés par les populations et mettre celles-là en capacité de développer leur pouvoir d’agir grâce à un revenu décent.
Contrairement à ce qui est souvent laissé croire, Adam Smith est également partisan d’une économie politique qui donne à l’Etat les moyens d’assumer les services publics nécessaires non seulement aux secteurs essentiels tels que l’éducation, la santé, la justice, la défense nationale,…, mais aussi à la régulation voire l’orientation du marché des biens et services qui ne saurait être piloté par la fameuse main invisible, concept imputé à tort à Adam Smith.
Ainsi, Thierry Pauchant en tire comme enseignement que la politique économique prônée par Adam Smith, manifestement imprégné de l’esprit des Lumières, est à l’origine de l’approche des « capabilités » développée par l’économiste indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie et la philosophe américaine Martha Nussbaum, dont les travaux mettent le développement humain au cœur du développement économique. Nous sommes ainsi très proches des fondements de l’économie d’intérêt collectif concrétisée aujourd’hui par l’économie sociale et l’économie publique. L’analyse de Thierry Pauchant est inspirante.
Elle nous invite à approfondir toutes ces notions nées dans le contexte de la philosophie des Lumières dont le principal fondement est la nécessaire émancipation des populations vis-à-vis de toutes formes d’aliénation, par l’éducation et le développement du sens critique.
Ces formes d’aliénation, c’était jadis l’obscurantisme religieux et le pouvoir politique autocratique, c’est aujourd’hui,…toujours l’obscurantisme religieux dans une grande partie du monde, le développement de l’autoritarisme politique, auxquels on ajoutera la société d’hyper consommation, la soumission aux nouveaux maîtres du monde que sont les géants du numérique et les réseaux sociaux. (voir l’ouvrage de Galilée.sp « Rallumons les Lumières ! » )(https://ciriec-france.fr/publications/rallumons-les-lumieres/)
La liberté économique des individus, même dans les démocraties dites libres, n’est en réalité qu’une illusion savamment entretenue par l’idéologie néolibérale. Le vrai libéralisme que défendait Adam Smith nous dit Thierry Pauchant est « le libéralisme personnel, celui qui encourage le pouvoir d’agir des gens », dans une économie qui n’est pas qu’une économie de marché dans une « société de boutiquiers », mais qui permette aux individus de réaliser ce à quoi ils aspirent.
Ainsi, dans le contexte international d’aujourd’hui, et face aux impasses vers lesquelles nous conduisent les théories productivistes du libéralisme économique des années 80, malheureusement toujours dominantes dans le monde globalisé, l’approche des « capabilités » mise en avant par Thierry Pauchant, défendue par de plus en plus d’économistes, peut constituer une base sérieuse d’élaboration d’une politique économique du juste milieu, qui redonne confiance aux personnes et qui permette de se mettre en situation de relever les défis économiques, sociaux et environnementaux de notre temps.
En cette période de rentrée, c’est un chantier que le CIRIEC-France se doit d’ouvrir pour les prochains mois car il entre bien dans sa vocation de recherche d’une économie politique différente qui mette le pouvoir d’agir des individus et leur bonheur au cœur de ses objectifs, et qui préserve la paix comme le souhaitait le professeur Edgard Milhaud fondateur du CIRIECInternational. Certes le chemin est difficile et il faudra beaucoup d’efforts pour convaincre.
Convaincre par exemple que les profits de la croissance économique ne ruissellent pas, que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, que la concurrence à tout prix ne favorise pas la solidarité,… Car les forces qui oeuvrent pour la rentabilité des capitaux investis et non pour la réduction des inégalités et encore moins pour la solidarité sont encore largement dominantes.
Mais les plaidoyers en faveur d’une économie plus raisonnable et plus responsable se multiplient. Ils ont permis des avancées significatives dans la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire au niveau international, et suscité un éveil des consciences de la part de certaines entreprises convaincues qu’il faut un changement de paradigme.
Cela crée quelques motifs d’espoir pour le futur ainsi que nous l’indique Thierry Pauchant que nous remercions pour remettre l’ouvrage de l’économie d’intérêt collectif sur le métier à partir de l’approche du « capabilisme ».
Nous attendons avec impatience son prochain livre « L’économie sociale de Condorcet et Adam Smith »