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16 / 11 / 2011 | 23 vues
Michel Floirat / Membre
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Inscrit(e) le 18 / 11 / 2010

Comment concilier handicap, confort et efficacité dans l'entreprise

L’objectif de l’ergonomie sur un poste de travail est de concilier productivité et confort. De nombreux intervenants sont concernés par ces préoccupations liées aux conditions de travail : services médicaux, commissions CHSCT, direction  générale, syndicats, service HSE, ressources humaines… Dès lors, comment faire coexister des intérêts différents et trouver une solution bénéfique pour tous ? C’est le métier de l’ergonome en entreprise. Bureau Veritas, l’un des acteurs majeurs de la certification, propose depuis quelques années une démarche d’accompagnement auprès des entreprises pour améliorer les conditions de travail et assurer une prévention durable des risques professionnels. 

  • Interview d’Alexandre Thines, référent technique national en ergonomie chez Bureau Veritas

Pouvez-vous nous présenter vos domaines d’interventions ?

Nous intervenons principalement pour :

  • étudier les postes de travail existants ;
  • accompagner nos clients dans des nouveaux projets, par exemple la création ou la restructuration d’une chaîne de production ;
  • prévenir les troubles musculo-squelettiques (TMS) ;
  • délivrer des formations.

En prolongement, ou indépendamment de ces prestations, nous pouvons déployer une démarche d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux. Nous intervenons principalement pour l’analyse de postes de travail existants et ce, dans l’optique de diminuer les accidents du travail et les pathologies professionnelles (dont les TMS), en agissant aussi bien sur l’analyse des facteurs de risques biomécaniques (efforts, postures, répétitivité des gestes) que sur l’analyse environnementale et organisationnelle du travail.

À quelles occasions les entreprises font-elles appel à un ergonome ?

Les incidents et les accidents de travail se multiplient, les pathologies professionnelles s’amplifient, les soins infirmiers aussi, l’absentéisme se généralise et en même temps, dans l’industrie, la qualité de production se dégrade (cette dernière donnée peut se mesurer par l’augmentation du taux de rebut). Les employeurs, préoccupés par ces conditions de travail dégradées et ces pertes de performances, font de plus en plus souvent appel aux ergonomes. Et ceci est valable pour tous les secteurs d’activités. Nous arrivons à trouver des solutions de confort satisfaisantes pour tout le monde. C’est l’une de nos fiertés que de démontrer que l’emploi des travailleurs handicapés, la réduction des TMS et la productivité peuvent coexister. En fait, notre mission nous conduit bien souvent à dégager des synergies entre les différents postes et aboutit à la modification de l’organisation du travail. Cela nous arrive même de rencontrer des fournisseurs pour modifier la conception des machines (implantation des commandes, des signaux visuels, prise en compte de l’interface homme/machine). On travaille en toute transparence, sur la base de la recherche du compromis avec toujours en tête ce double objectif : concilier santé et efficacité.

Avec quelles conséquences en matière d’emploi des TH (travailleurs handicapés) ?

Les observations et les entretiens que nous menons dans l’entreprise nous permettent  d’identifier les freins et les contraintes inhérentes à un poste de travail et d’apporter des solutions d’aménagement réalistes qui ne compromettent pas la productivité, tout en améliorant le confort des travailleurs handicapés. Notre démarche d’analyse permet la mise en adéquation du poste avec le handicap et/ou les restrictions médicales d’aptitude, les possibilités de compensation des déficiences, les accès au poste. Nous participons à une réflexion interne sur la politique de l’entreprise en termes de maintien dans l’emploi des salariés confrontés à des situations vécues comme handicapantes.

Mais justement ne vaut-il pas mieux favoriser la mobilité entre les postes ?

Sur le papier c’est possible mais dans la réalité trouver le bon poste pour la bonne personne n’est pas un exercice facile. Alors on adapte plus souvent un poste au handicap du travailleur qu’on ne change le travailleur de poste.

Est-ce qu’il existe des freins à l’emploi des TH selon les secteurs d’activité ?

Dans l’industrie, on retrouvera plus fréquemment des personnes présentant un handicap au niveau des membres supérieurs (bras, mains etc.). Des aménagements techniques et fonctionnels peuvent être proposés et mis en œuvre avec le concours de l’ergonome. Dans le tertiaire, les handicaps seront autres : il nous est arrivé par exemple de réaliser un diagnostic ergonomique pour la mise en place d’un standard téléphonique en braille pour une personne ayant un handicap visuel. Cet exemple s’est traduit par l’engagement d’une réflexion plus aboutie sur une politique globale de maintien dans l’emploi, ce qui renforce la richesse de nos interventions.

Peut-on dresser une carte des TMS selon les secteurs d’activité ?

Sans aller jusque-là, on peut parler de grandes « tendances ». Dans le secteur tertiaire, le personnel administratif peut ressentir des douleurs lombaires, des cervicalgies, une fatigue visuelle et mentale, puis être atteint du syndrome du canal carpien (problème de poignet). Par exemple, les journalistes travaillant devant un écran n’ont pas forcément une bonne position de travail. Bien souvent, l’écran est situé plus bas que leur champ de vision, ce qui peut créer des tensions au niveau des cervicales. Dans les métiers de l’industrie ou du bâtiment, nécessitant des manutentions manuelles, des efforts liés notamment au port de charges, une gestuelle répétitive sous contrainte de temps, on rencontrera principalement des TMS (au niveau du dos, des épaules, des poignets, des genoux…). Par ailleurs, des opérateurs devant des écrans de contrôle ou des opérateurs en charge de contrôle qualité pourront se plaindre de fatigue visuelle.

Citez-nous les TMS les plus répandus ?

TMS du membre supérieur : syndrome du canal carpien, tendinopathie de la coiffe des rotateurs, épicondylite… TMS du dos : sciatiques, lombalgies, hernies discales… TMS du membre inférieur : l’hygroma du genou, tendinite rotulienne…

Justement quels sont les facteurs de risques provoquant l’apparition de TMS ?

Tout d’abord, les facteurs biomécaniques comme un effort intense, une gestuelle répétitive avec une cadence de production élevée, une position contraignante ou même statique prolongée peuvent générer l’apparition de TMS. Par exemple, le poste de conduite exigu d’un bateau, d’un véhicule contraint la personne à adopter une posture contraignante, pouvant provoquer une situation à risque de TMS. La répétitivité des tâches est un facteur important dans le déclenchement des TMS. Imaginez que vous portez un poids d’un kilo 500 fois par jour. À la fin de la journée, vous aurez déplacé une demi-tonne ! Les facteurs liés à l’environnement de travail, notamment les ambiances thermiques, lumineuses, sonores, atmosphériques, les vibrations. En effet, un éclairage inadapté peut entraîner l’adoption de postures contraignantes pour l’assemblage de pièces. Les facteurs organisationnels rentrent également en ligne de compte : le mode de management, la charge de travail, l’organisation spatiale et temporelle du travail, les relations interpersonnelles de travail, les communications… Les facteurs psychosociaux jouent également un rôle dans l’apparition des TMS. Le stress peut être provoqué par la perception négative du travail, la pression temporelle du travail, la charge de travail, le manque de soutien social (hiérarchie, collègues).

Peut-on s’improviser ergonome ?

Difficilement. Nous avons une méthodologie spécifique et des outils pour conduire notre intervention ergonomique. Notre métier demande des compétences diversifiées tant médicales que techniques et englobe plusieurs domaines, notamment les sciences humaines comme la psychologie, la sociologie, sans oublier l’ingénierie, la physiologie, voire la linguistique. Notre intervention repose sur l’analyse de l’activité réelle, en vue d’identifier les contraintes inhérentes aux postes et de proposer des solutions adaptées aux enjeux et préoccupations de nos clients. Dans un premier temps, nous croisons les entretiens avec la direction, l’encadrement et les opérationnels avec la phase d’observations de situations de travail sur le terrain (postures, gestuelle, déplacements, manutention, relations de travail) : c’est la phase de diagnostic. Nous confrontons les informations issues de cette phase avec des outils comme l’analyse de séquences vidéo (pour identifier les efforts et les postures d’un travailleur sur une durée d’une minute) ou encore avec une grille d’évaluation des conditions de travail qui s’appuie sur 22 critères : efforts, manutentions, répétitivité (soulever un kilo 500 fois/jour…), environnement etc. Une fois passée cette étape, nous constituons un groupe de travail composé de représentants de la direction, de salariés, du médecin du travail, de membres du CHSCT et du service hygiène/sécurité. Notre rôle est alors d’expliquer et de guider le groupe avant de passer à l’expérimentation et à l’évaluation des solutions proposées. Notre métier exige une diplomatie, une capacité d’adaptation à des situations conflictuelles, à des climats sociaux tendus et une force de persuasion, pour fédérer et convaincre les décideurs de mettre en œuvre les solutions proposées.

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