Participatif
ACCÈS PUBLIC
14 / 02 / 2019 | 744 vues
Joseph Tayefeh / Membre
Articles : 26
Inscrit(e) le 08 / 11 / 2018

Plasturgie : peut-on « retirer sa signature » d’un accord de branche ?

Eugène Marbeau, ancien conseiller d’État et philanthrope, disait : « obéir aux lois, c'est tenir sa parole ».

Le thème est d’actualité dans la branche de la plasturgie, où l’organisation patronale signataire de l’accord-avenant de branche du 25 octobre 2018 relatif aux indemnités de licenciement et de retraite en plasturgie a indiqué retirer sa signature de l’accord.

Est-on dans une démarche valide juridiquement quand, après avoir signé un accord après de longs mois de négociations et de nombreuses mises en garde de l’autre organisation patronale représentative dans la plasturgie (Plastalliance), est annoncé moins de 4 mois après la signature que celle-ci serait retirée ?

Le contexte

Des négociations avaient été engagées début 2018 pour une « mise à niveau » et une clarification des accords de branche relatifs aux indemnités de licenciement et de retraite dans la plasturgie.

Plastalliance, dont la représentativité a été reconnue dans la plasturgie par le Ministère du Travail le 21 décembre 2017, ne s'opposait pas à ce principe sous réserve que cela n’engendre pas de coûts supplémentaires pour les entreprises, ce que l'autre organisation représentative (la fédération de la plasturgie) avait initialement accepté.

La négociation devait donc se faire du côté patronal à coût constant, ligne rouge à ne pas dépasser pour Plastalliance.

Au fur et à mesure des négociations et malgré les alertes écrites et orales émises par Plastalliance sur une évolution extrêmement coûteuse des indemnités de départ à la retraite des non-cadres, un accord a été  proposé à la signature le 25 octobre 2018.

  • Plastalliance, qui a introduit le concept de « démocratie patronale » dans son fonctionnement, a sollicité ses adhérents (informés en continu sur les différentes projets depuis le premier trimestre 2018) sur leur position pour une signature ou non de l’accord final soumis à signature. Les répondants ont demandé à 98 % de ne pas signer cet accord augmentant le coût des départs en retraite des non-cadres sans aucune contrepartie pour les entreprises.

L’accord a finalement été signé le 25 octobre 2018 du côté des OSS par la FCE CFDT et la fédéchimie FO et par une seule organisation patronale (la fédération de la plasturgie) et même notifié par cette même fédération aux différentes parties fin octobre 2018.

Depuis et après avoir indiqué en réunion et en présence de la représentante du Ministère du Travail au mois de décembre 2018 vouloir déposer l’accord début janvier 2019, la fédération de la plasturgie annonçait par courrier en date du 6 février 2019 son retrait de signature de l’accord susvisé afin de ne pas laisser cet accord produire ses effets.

Le « retrait de signature » a-t-il un quelconque effet sur l’application de l’accord ?

Telle est la question qui est débattue aujourd’hui et qui concerne tout particulièrement les entreprises membres du groupement signataire en vertu de l’article L 2262-2 du Code du travail, d’une part, qui dispose que « l'adhésion à une organisation ou à un groupement signataire emporte les conséquences de l'adhésion à la convention ou à l'accord collectif de travail lui-même, sous réserve que les conditions d'adhésion prévues à l'article L. 2261-3 soient réunies ».

D’autre part, en vertu de l’article L 2262-1 du Code du travail qui énonce que « sans préjudice des effets attachés à l'extension ou à l'élargissement, l'application des conventions et accords est obligatoire pour tous les signataires ou membres des organisations ou groupements signataires ».

Des entreprises pourraient être amenées à croire qu’un « retrait de signature » de leur fédération leur permettrait de ne pas subir les conséquences financières (réelles) de l’accord et de pouvoir s’exonérer de son application en entreprise, ouvrant ainsi la voie à de nombreux contentieux individuels ou collectifs avec leurs salariés voire des OSS,  même non-signataires de l’accord.

Il est en effet de jurisprudence connue qu’« indépendamment de l'action réservée par l'article L. 2261-11 du code du travail aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail, les syndicats professionnels, qu'ils soient ou non signataires, sont recevables à demander sur le fondement de l'article L. 2132-3 de ce code l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail, même non étendu, son inapplication causant nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession » (Cass. soc., 11 juin 2013, n° 12-18247).
Pour répondre à cette problématique en amont et afin d’éviter aux entreprises concernées de s’exposer inutilement à un risque judiciaire, il est nécessaire de ne pas occulter les dispositions du droit des contrats et du code civil auquel est soumis le Code du Travail qui dispose dans son article L 1221-1 que « le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter ».

L’article 1193 du Code Civil indique : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise ».

Dans ce cadre, un retrait unilatéral d’une partie signataire serait donc prohibé sauf dans les cas autorisés par la loi ou la convention elle-même.

En l’espèce et concernant un accord de branche, le « retrait de signature » ne figure pas dans le Code du travail comme moyen juridique de s’exonérer de l’application d’un accord.

Seule la dénonciation dans les règles d’un accord de branche (ou même d’entreprise) peut d’une part démontrer l’intention de l’une des parties signataires de ne plus approuver l’accord et, d’autre part, à terme, produire sous conditions quelque effet sur la convention, en vertu de l’article L 2261-9 du Code du travail : « La convention et l'accord à durée indéterminée peuvent être dénoncés par les parties signataires. En l'absence de stipulation expresse, la durée du préavis qui doit précéder la dénonciation est de trois mois. La dénonciation est notifiée par son auteur aux autres signataires de la convention ou de l'accord. Elle est déposée dans des conditions prévues par voie réglementaire ».

L’article L 2261-10 du Code du travail en ses alinéas 1 et 2 précise : « Lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, la convention ou l'accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure. Une nouvelle négociation s'engage, à la demande de l'une des parties intéressées, dans les trois mois qui suivent le début du préavis mentionné à l'article L. 2261-9. Elle peut donner lieu à un accord, y compris avant l'expiration du délai de préavis ».

Dans le cas d’espèce, l’avenant du 25 octobre 2018 indique en son article 6 : « Le présent avenant pourra être révisé ou dénoncé dans les conditions prévues par le Code du travail ».

Le « retrait de signature » ne figure pas comme élément accepté par les parties pour se défaire de l’accord et seul resterait donc la dénonciation.

Hormis le bon sens général quant à la valeur de cet engagement, la signature d'un acte est lourde de portée juridiquement : « La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte » (article 1367 du Code Civil Al 1er).

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler qu’autant du côté salarié que du côté patronal, il n’était pas possible d’écarter l’application d’un texte par le retrait unilatéral d’une signature.

Quand l’OS retire sa signature : « Encourt la cassation le jugement par lequel un tribunal d'instance décide que les élections des délégués du personnel d'une banque devront se dérouler séparément pour chacun des huit réseaux d'agences et pour l'ensemble des directions, lesquels constituent neuf établissements distincts, dès lors que la banque avait soulevé expressément l'irrecevabilité de la demande, en soutenant que l'union syndicale demanderesse à la contestation était liée par l'accord préélectoral régulièrement intervenu, conformément à l'article L 420-7 du Code du travail, en vue des élections en cause, prévoyant l'organisation de celles-ci dans le cadre d'un seul établissement et qu'elle ne pouvait en faire écarter unilatéralement l'application en prétendant « retirer » la signature qu'elle y avait librement apposée sans même formuler de réserves » (Cass. soc., 8 décembre 1976, n° 76-60171 et 76-60187 BC V n° 650).

Ou côté employeur : « Mais attendu qu'ayant constaté que l'employeur avait en connaissance de cause et librement signé le protocole électoral sans même formuler de réserves, le tribunal d'instance a décidé à bon droit que l'employeur ne pouvait en faire écarter unilatéralement l'application en prétendant retirer sa signature » (Cass. soc., 11 décembre 1996, n° 96-60002).

L’avenant du 25 octobre 2018 ne comporte aucune réserve, que ce soit dans son corps ou dans la notification faite aux parties par la fédération elle-même.

« Retirer sa signature » : la porte ouverte

Si « retirer sa signature » avait une quelconque valeur, ce serait la porte ouverte à des abus dont les entreprises pourraient être les premières victimes. Un client qui signerait un bon de commande et qui déciderait unilatéralement de revenir sur sa signature en invoquant le précédent fédéral ou une entreprise qui mettrait en place par accord collectif signé avec des OS ou des élus un nouvel aménagement du temps de travail accompagné d’investissements et qui devrait faire face à un « retrait de signature » unilatéral et sans préavis du côté des salariés.

D’une certaine manière, ce serait une remise en cause de la responsabilité contractuelle et la source de nombreux dangers pour les entreprises, notamment nonobstant la perte de confiance des parties dans la signature et les engagements de chacun.

Rappelons que dans une autre branche (CCN de l'industrie pharmaceutique) et par un courrier daté du 9 février 2017, la fédération chimie de la CFE-CGC a fait savoir qu’elle retirait sa signature de l’accord de branche sur le temps de travail du 17 novembre 2016 dans les entreprises de moins de 50 salariés qu’elle avait signé.

Ce à quoi l’organisation patronale (le LEEM) avait répondu par courrier en date du 15 février 2017 en indiquant que le retrait de la signature de la CFE-CGC « n’est juridiquement pas possible et donc pas recevable ». L’accord est d’ailleurs toujours en vigueur aujourd’hui (mais non étendu).

Le Code Civil laisse par ailleurs la possibilité pour une partie à une convention de renégocier ou de soumettre au juge la convention, avec l’agrément nécessaire du ou des autres signataires, sans pour autant empêcher l’application de ladite convention : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe » (article 1195 du Code Civil).

Il n’est même pas possible d’invoquer la nullité pour erreur car, d’une part, dans le cas d’espèce, l’organisation patronale représentative non signataire Plastalliance avait informé pendant la négociation les OSS et la fédération de la plasturgie des conséquences financières négatives pour les entreprises concernées et, d’autre part, en droit et selon l’article 1136 du Code Civil : « L'erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n'est pas une cause de nullité ».

À terme, le seul moyen juridique de faire « tomber » cet accord côté patronal serait la dénonciation,  sauf que pour faire valoir la clause de dénonciation, il est nécessaire que cette clause produise déjà un effet, en d’autres termes que l’accord soit applicable.

En l’espèce, le même article 6 de l’accord prévoit qu’il « entrera en vigueur le lendemain de son dépôt auprès des services compétents et sera soumis à la procédure d’extension par la partie la plus diligente ».

Compte tenu que les OSS signataires ont  récemment manifesté leur volonté de déposer eux-mêmes l’accord, il restera à la fédération de la plasturgie l’option de le dénoncer dans les meilleurs délais mais avec le respect du préavis légal applicable (trois mois) et en tenant en compte que l’accord, en l’absence d’accord de substitution, produira effet pendant encore douze mois après la fin du préavis, soit quinze mois au total.

Cette option aura au moins le mérite (et après le délai rappelé ci-avant) de faire sortir les entreprises concernées de l’application de l’accord.

Nous appelons de nos vœux qu’à l’avenir, dans la plasturgie, il soit tenu compte de l’ensemble des positions patronales car il apparaît que la position du syndicat patronal minoritaire est majoritaire auprès des entreprises.

Pas encore de commentaires